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23 octobre 2012 2 23 /10 /octobre /2012 09:27

MA GUERRE D'ALGERIE

Un appelé du contingent

A MONTENOTTE et HANOTEAU

1960/1962 

 

2ème Partie.   HANOTEAU         

 

 

      La route est longue pour arriver à Hanoteau. Au bout de trois heures j'arrive au poste de la 7ème Compagnie où je suis affecté. J'étais seul à l'arrière du bahut et à l'arrivée un sergent me dit d'attendre que le capitaine me reçoive.

21 Guy en Algerie Hanoteau commando 1961 La 7e Cie.                                            7ème Compagnie du 22ème R.I.

 

      Au bout d'une heure en plein soleil, le sergent me fait entrer dans la baraque du capitaine. Au garde à vous, j'attends au milieu de la pièce. Le Capitaine se tient devant son bureau, les bras croisés, une moue de dégoût aux lèvres. Un silence de mort, puis le capitaine tonne.

 

-         Vous êtes la honte du bataillon.

 J'évite soigneusement de croiser son regard hostile. Il passe derrière moi et me balance un coup de pied  dans le cul.

-         Salopard de bolcheviste tu vas en baver (le vouvoiement n'est plus de rigueur). Tout y passe ! il menace de me faire fusiller, de m'envoyer avec les bouniouls à la "corvée de bois", de me mettre au trou.

-         Tu m'écoutes salopard, au moins, bordel ?

-         Tu ne foutras pas la merde ici ! Pour commencer tu iras en patrouille ce soir avec un bâton, en éclaireur.

-         C'est bon ! dit-il, enfin calmé.

-         Rompez ! Vous devriez déjà être parti.

 

Je fais demi-tour droite ou gauche, je ne m'en souviens plus, et je sors tout tourneboulé en me disant que ça ne va pas être la joie le séjour à Hanoteau. On m'a envoyé ici au baroud casser du fellagha, hé bien ! Je ferai avec.

 

      Le 5 juillet j'adresse encore une lettre à mes parents.

"Je ne sais si je vais pouvoir tenir le coup…. Interdiction d'aller voir le toubib sous peine de prison, de brimades. Je suis le seul avec des Musulmans. Je suis chef de groupe. Interdiction d'avoir une valise, ni livres, ni rien. J'ai un colis chez le vaguemestre, mais je n'ose aller le chercher, je ne saurai où le mettre, tout est défendu ! La semaine prochaine je dois monter pour trois semaines dans un poste avec une douzaine d'harkis et le mois prochain la section doit aller au poste de Bou-Alifa en pleine montagne, repère des Fellouzes".

 

      Pendant ce temps là, à Montenotte, un copain "Nono" m'écrit que : "….les fils Hezant et Bebeil sont revenus hier soir. Quelle fête au village ! Je t'assure que nous grincions des dents car ta mutation provient tout de même de leur arrestation à laquelle tu n'étais pour rien".

 

      A Paris, mes parents, Yolande, ma petite amie du moment, remuent ciel et terre : L'express, la S.F.I.O. (qui nous a mis nous les appelés, dans la merde), Calméjane le député Gaulliste de Villemomble, sont mis à contribution et informés. Hélas ! Rien de positif, la réponse du député Calméjane étant :

 

"J'interviens en termes pressants auprès du Ministre des Armées, en insistant pour que l'enquête ne soit en aucun cas défavorable à votre fils". Elle ne fut ni favorable, ni défavorable, car aucune réponse ne suivit cette première lettre. Alors mon père en parle à Pierre Benoît, auteur bien connu et qui est édité chez Albin Michel, où il travaille. Pierre Benoît est un ami intime du Maréchal Juin. Ce dernier intervient auprès du Colonel Guillaume qui lui-même prend contact avec le Colonel Ernould à qui il a passé récemment le commandement du 22ème R.I.

 

      Je change de tenue. Les marches de nuit vont bientôt commencer. J'ai une casquette Bigeard. Mon treillis est retaillé pour que nous puissions crapahuter sans nous faire entendre. Sûr que je ne vais pas papillonner, car il y a de grandes opérations dans l'air, je le hume ou je le flaire, comme vous voulez ! Ce qui est certain c'est que je ne rêve pas, hélas !

Lettre du Lt Colonel GUILLAUME.photo                                 Lettre du Colonel Guillaume à mon sujet.


 

Lettre du Colonel ERNOULT photo                             Réponse du Colonel Ernoult à propos du caporal Martignon

 

      Fin du premier acte. En effet ça a changé depuis que le capitaine a reçu un certain coup de fil de son colonel.

 

      Moi aussi j'ai changé. Il ne s'agit plus de "jouer au con", je suis maintenant dans une compagnie active; Mon choix est fait et le temps des hésitations, des grandes théories fumeuses sur le socialisme, c'est maintenant du passé. Je passe volontiers le bâton aux autres.

 

      Hanoteau n'est pas Montenotte. Nous sommes ici en zone de guerre !

 

      Près d'une placette ocre bordée de mechtas et de maigres platane se trouve notre camp de la 7ème Compagnie du 22ème R.I. Il faut dire qu'il y a quelques années, Hanoteau a été l'épicentre du terrible séisme d'Orléansville et s'il y avait quelques maisons de pieds noirs, elles n'y sont plus, ainsi que leurs habitants qui se sont fait la malle en d'autres lieux. Seul reste le garde champêtre, sa femme Berbère et sa fille qui doit avoir dans les seize ans? Elle est jolie sa fille et ne dédaigne pas les militaires dit-on.

Elle me l'a fait savoir, un jour que je commandais un convoi de ravitaillement à Orléansville et que son père a demandé si on pouvait emmener sa progéniture rendre visite à de la famille. Elle est près de moi sur le siège avant lorsqu'elle prend l'initiative de m'embrasser avec fougue. Je ne vais pas laisser passer l'affaire !

Je vous en prie mademoiselle ! Surtout que le paysage est toujours le même, des collines décharnées suivies de pitons et de gorges qui devaient être autrefois touristiques mais qui ne le sont plus et pour cause. Bref ! La petite s'y connaît en croqueuse de gland et moi je lui tripatouille ce que je trouve sous sa jupe et son corsage. Le chauffeur fait quelques embardées à force de mater ce qui se passe à ses côtés. Je ne la saute pas car il y a des on-dit et je ne pense pas que ce sont des légendes sur les relations entre bidasses et filles arabes. On dit que certaines filles qui sont des effaceuses de biroutes attirent les soldats ne voulant pas fréquenter le B.M.C. et se placent dans le minet des lames de rasoir. On n'arrête pas le progrès même chez les fells et leurs copines, je vous dis ! Imaginez les dégâts !

 

      Pour revenir à la donzelle que je pelote à satiété tout au long du parcours, arrivé à Orléansville, elle ne veut plus me quitter. Elle dit qu'elle m'aime et va jusqu'à s'imaginer que je vais l'emmener en France avec moi. Elle pense sans doute, voila un bon zigue ! à qui je vais couler mon boniment en douceur, histoire de quitter ce pays de merde. Je décèle la combine et je l'envoi paître. La gamine alors se déchaîne.

 

-         Salaud de raciste dit-elle.

        

Elle a la jactance facile mais moi je ne tombe pas dans le piège.

 

      J'accompagne mes hommes charger le G.M.C. (camion militaire) de provisions. En passant devant une petite boutique crasseuse j'aperçois des cartes postales de gonzesses à poil. J'achète le stock du boutiquier. Les cartes sont un peu passées, mais cela fera l'affaire car je vais les revendre une par une au foyer. Chacun pourra rêver à des jours meilleurs, le vague à l'âme, l'image devant lui, dans un coin, à la garde peut être ! Se faisant un petit rêve tranquillos…

 

      Quelques briscards de l'escorte, veulent profiter du voyage pour aller au B.M.C. (bordel militaire de campagne). Nous y allons. Je leur demande de faire vite, car on nous attend à Hanoteau pour l'après midi. Je visite le B.M.C., grade oblige, avant d'y laisser mes gus. C'est un grand camion, comme on en trouve dans les fêtes foraines. On grimpe un escalier par l'arrière et là un troufion est à la caisse. Cinq francs la passe, serviette comprise plus le ticket. Bien sûr, on laisse son arme à l'entrée pour ceux qui en ont. Sur le côté du couloir il y a des petites piaules avec un rideau et une cuvette d'eau. Il faut qu'ils se contentent de ce qu'ils trouvent, les pauvres tringlots ou biffins en mal d'affection. Il y a abondance de fesses et de tétons mais pas question de voir la marchandise avant. Des grivetons sortent rapidement et remettent leur ceinturon.

 

-         Au suivant, N° 42 !

-         Faut pas traîner mon gars, pigé ?

 

Tandis qu'un confrère à l'entrée marque le nombre de passes faites par chaque fille sur une ardoise, je discute avec le préposé à la caisse. Il fait partie d'un régiment peinard à Orléansville. De temps en temps, lui ou un autre accompagne ses gagneuses, sous escorte, dans le bled pas trop loin. Le camion reste une heure ou deux et rentre au bercail. En deux heures il en passe une flopée sur le corps de ces malheureuses ! Les appelés en premier puis ensuite les supplétifs.

 

      Accroché au village d'Hanoteau et à deux pas du camp se trouve le regroupement de Beni-Djerdine. Toute la population des montagnes alentours et des vallées y est regroupée par mesure de sécurité. Leurs mechtas se trouvent alors en zone interdite.

 

      Hanoteau est à un carrefour de pistes. C'est un endroit désert et isolé, au pied des montagnes du "Bissa".  Les nuits sont froides, étrangement calmes et seulement troublées par le hurlement des chacals.

 

      Nous savons qu'il y a une "katiba de fellaghas" dans le coin. C'est dans le regroupement que certains d'entre eux viennent récupérer, dormir, manger… Nous faisons parfois quelques incursions, mais sans grand succès ! Il nous arrive quand même de ramener un ou deux suspects que nous traitons à la "gégène" au camp de l'Oued Hamelil. Ne vous choquez pas, le F.L.N. n'a pas déposé ses couteaux au vestiaire et si nous tombons dans leurs pattes, c'est les couilles dans la bouche et un joli "sourire Kabyle" sur la gorge ! Oh ! Mais si…. Et ce sont eux qui ont commencé les premiers.

 

      Pratiquement chaque nuit, une patrouille se glisse dehors. Nos treillis sont taillés et ajustés pour éviter les frottements comme il nous a été ordonné. Il faut traverser les regroupements en prenant soin de ne pas se baguenauder au milieu des ruelles pour ne pas se faire flinguer comme des lapins par un tir en enfilade. Il y a aussi des opérations. Le crapahut dure de deux à huit jours, parfois plus, on se coltine en plus de notre arme un barda pesant au moins dix kilos. Les opérations, c'est la routine pour un commando mais certaines me marqueront à jamais.

 

      Ce jour là, nous marchons en file indienne, vers minuit, à quelques kilomètres de notre base. L'air est léger, le serpatte est devant et moi je suis à l'arrière avec le radio. Nous ne risquons pas grand-chose dans la vallée qui entoure Hanoteau. Soudain une détonation. Chacun se plie en deux comme de coutume. On enregistre tous les claquements des bastos qui passent au dessus de nos têtes. Merde on est tombé dans une embuscade. Le préposé au F.M. se met en position près de moi et on escalade une petite butte. On tire au jugé. Visiblement ils nous ont pris en enfilade et se carapatent maintenant vers un oued qui déroule ses rubans au-dessous de notre sentier de chèvres. On lâche encore quelques rafales puis on s'arrête. Mais qu'est-ce qu'il fabrique le serpatte ? On ne l'entend pas ! Le radio appelle du renfort. Au bout d'une demi-heure le sous-bite arrive avec la harka. Ils sont essoufflés. Avec nos lampes torche on s'avance pour découvrir le serpatte à terre, plié en deux. Il a morflé dans le ventre. Son visage est crispé de douleur. Encore conscient il nous dit qu'il ne veut pas mourir. Le sous-bite se penche, pose sa main sur son front qui est brûlant puis tâte son pouls qui est trop lent. Il m'ordonne de confectionner un brancard avec deux fusils enfilés dans les manches de deux treillis. Il explore la blessure et met sa main sur une matière gluante. Il comprend que c'est grave.

 

-         Tu vas t'en tirer dit-il au blessé, recroquevillé, les mains crispées sur ses entrailles. Il saupoudre la blessure de sulfamide et me dit qu'il n'y a pas de temps à perdre.

-         Il faut rentrer fissa et appeler l'hélico.

      A la base, le capitaine nous attend après le coup de fil du sous-bite.

-    Il y a de la casse parait-il ?

-    Oui mon capitaine, le sergent !

-    Grave ?

-    Je pense que oui mon capitaine.

 

 Evasan d un sergent blesse en juin 58 photo R.DESCHLER     Notre copain de route, le serpatte, est embarqué en hélico vers Orléansville. Au petit matin on apprendra après l'opération qui suivit que le pauvre était mort avant d'arriver à l'hosto.

 

 

      Plusieurs semaines après cet incident, comme on dit ! Ses parents sont venus nous rendre visite à la 7ème. Ils voulaient voir le coin où était tombé leur fils. Comment avaient ils eu l'autorisation de venir ? Vas savoir ? C'est vrai qu'ils étaient d'Alger ! Ils nous ont serré la main, sans cri, sans colère. C'est con, mais nous avions la gorge nouée.

 

       A la radio on apprend qu'il y a des connards de gauche qui défilent à Paris contre la guerre d'Algérie. On cite Sartre, Simone de Beauvoir et tout le toutim des bonnes consciences qui se gardent bien d'aller en Algérie ; la horde des étudiants, fils à papa ayant des relations avec un quelconque général, planqué lui aussi pour la circonstance, et les "objecteurs de conscience". Moi qui était étudiant sursitaire j'y suis bien ici, la merde jusqu'au cou. Savent ils ce que c'est les heures de garde, les kilomètres parcourus en opération, les embuscades, les boites de ration et la soif ? C'est vrai que les étudiants dépassent rarement les bureaux des états-majors ! Moi, je suis une exception et je ne l'ai pas volé. Je suis étudiant et commando !

 

      Nous ici on se bat depuis des mois dans des conditions morales et même matérielles difficiles. Certains sont morts ou blessés et nous accomplissons une mission de patriotes tandis qu'à Paris où à Alger on nous insulte pour des raisons différentes. Les premiers sont des collabos pourris des fells et les autres veulent conserver leur Algérie coloniale, ce n'est pas simple !

17 Guy en Algerie commando Guillaume                                   En opération dans le Bissa en octobre 1961

 

      Les musulmans sont nombreux dans notre unité. Les 4/5ème sont des engagés ou des harkis et ce ne sont pas des brêles. C'est d'ailleurs sans retenu qu'ils traquent leurs coreligionnaires. Ils y vont franchement et même gaiement. Nous "les Français de métropole" nous sommes une quinzaine y compris le capitaine, le sous bite, et le sergent. Nous sommes assez soudés, même s'il y a des cons et des forts en gueule parmi nous. Il y a toujours la terreur de banlieue ou celui qui reçoit des colis de la C.G.T. mais ne les partage pas. Il est chargé de la mitrailleuse 12/7 et fait des cartons en riant sur des gosses en zone interdite qui s'efforcent de ramener dans leur regroupement des figues de barbarie. Il s'est même vanté d'avoir violé une gamine sur le bord de la piste.

C'est une brêle ce type là ! Il s'en foutait de la guerre d'Algérie mais il en aurait à raconter à ses potes d'usine des histoires dans quelques années, s'il ne prenait pas une bastos en pleine poire par "les putains de leur race inférieure" comme il dit, qui étaient en face de nous !

 

      Il nous arrive de faire de grandes "opés" en collaboration avec les paras et les légionnaires. Elles durent parfois une quinzaine de jours. Pour nous ces opérations, c'est comme un grand jeu scout ! Après plusieurs mois de crapahut, on tue sans hésitation et sans remord. Les jours coulent, entrecoupés d'opérations, de patrouilles et du bruit des pélos de mortier envoyés sur les collines proches. L'hiver est là, froid, humide et avec lui la boue sur les pistes et dans les oueds, cela change en effet des fortes chaleurs de l'été.

 

      Cette fois-ci nous sommes partis en half-track vers minuit. On nous a débarqué sur la piste pourrie de l'oued Hamelil. Il n'y a pas de lune. C'est bonnard pour les éclaireurs car ils sont moins décelable par les "choufs" rebelles et ne risquent pas de recevoir une bastos. Nous crapahutons toute la nuit, en silence, en direction d'un piton où se trouverait une partie de la katiba du coin. Nous suivons des oueds puis nous atteignons à l'aube les premières parties boisées de chênes liège. Nous perdons la trace des "fellouzes", ça coupe les jambes, merde ! Où sont-ils ces cons ? Très vite il fait de plus en plus chaud et nos bidons sont déjà taris. Heureusement il y a un peu d'eau dans les trous de rochers. On se la partage avec des araignées d'eau. Il faut redescendre et remonter sur la crête suivante où les renseignements nous disent qu'ils se trouvent dans des grottes.

 

-         Regroupement derrière moi dit le sous-bite et pas de bruit, ce n'est pas  le moment de se faire repérer.

-         Un chouf à cinquante mètres !

-         Vu mon lieutenant ! Dis-je.

 

Je passe l'information au porteur du F.M. qui se met en position pour nous couvrir, un autre prépare son lance patates et ses grenades. J'allume le chouf avec ma Mat. Cela provoque une certaine effervescence affolée du côté des grottes. Des hommes en djellabas sortent en lâchant au hasard des rafales de mitraillettes. Au F.M. on en dégomme quelques uns.

 

-         Il nous faut le chef, dit le sous-bite.

-          

Nous en avons flingués trois dont le chouf que j'ai allumé. Nous avons tous le souffle un peu court. On va rester là. Sur ce pic rocheux on domine une vallée et les collines alentours. Les fells doivent aussi se planquer en attendant la nuit.

 

      On commence par ouvrir nos boites de ration, moi j'ai toujours la même, celle destinée aux Arabes avec des sardines à l'huile et en guise de dessert une pâte de fruit sans saveur à la place de l'eau de vie traditionnelle pour les appelés.

 

      Ceux qui ne sont pas désignés pour la garde vont pousser un petit roupillon à l'abri du soleil et des moustiques qui se ruent sur notre peau. On se frotte de citronnelle. Je fixe le bleu du ciel avant de m'endormir ou plutôt de somnoler. De l'autre côté de la montagne il y a la légion. Ils travaillent comme des fonctionnaires, tout est réglé. Ils arrivent sur la piste dans des G.M.C. camouflés, et se répandent comme des robots à des points fixés à l'avance.  Leur popote est larguée par hélico et ils mangent des conserves de marque ; chaudes ! Il y a aussi le commando Viet qui se baguenaude dans la montagne comme les fells. Eux ne font pas de quartier et même pour nous il faut faire gaffe car ils tirent sur tout ce qui bouge. En effet le secteur du djebel "Bissa" et de Cherchell est le terrain de chasse du commando "Viet", des types venus d'Indochine qui vivent et disparaissent dans la nature plusieurs semaines. De vrais chasseurs de têtes qui ne s'embarrassent pas de sentiments lorsqu'il faut flinguer un ennemi potentiel. Après des heures à regarder le ballet des hélicos qui soulèvent des nuages de poussière, il faut repartir en marche de nuit. On doit faire gaffe aux embuscades, aux chutes, aux roulements de pierres. L'aube arrive assez vite. C'est à ce moment-là qu'un de nos choufs remarque dans le fond d'un oued qui se trouve à nos pieds, des mouvements suspects.

 

-         Il y a des gus là-dedans !

 

Avec quatre gars je vais voir. En effet planqués dans une anfractuosité, ils sont trois. Je décharge ma M.A.T. (mitraillette si vous voulez !). L'un est armé d'un fusil Lebel, les deux autres n'ont que des grenades. Celui qui a le fusil Lebel est flingué, à moitié étripée, la paillasse en compote. J'avise le lieutenant qui rend compte au capitaine resté à la base. Par radio, ce dernier me donne l'ordre en même temps de ramener les prisonniers afin de les faire identifier par le deuxième bureau. Les deux fellaghas sont emmenés et le lieutenant les garrotte et fouille leurs poches. L'un a une carte de commissaire politique. Un des harkis l'interroge mais le fellouze serre les dents et prend un air méprisant face à ce traître qui travaille pour nous. Il n'est pas bavard. On lui dit que son chef s'est rallié aux légionnaires, mais il nous répond que c'est faux. A nouveau la voix du capitaine se fait entendre. Il faut rejoindre la légion le plus vite possible pour leur remettre le fell qui est un personnage important.

 

-         Affirmatif ! Nous serons capable de faire la jonction demain matin.

 

La nuit suivante l'un des prisonniers réussit à s'échapper. Merde ! C'est le commissaire politique. Je ne raconte pas la colère du capitaine ! Ça fait déjà quatre jours que l'on crapahute et pour ne pas s'éterniser, le radio lui répond

 

le-radio-en-communication-avec-le-SCR-300.jpg-         Capitaine, je vous reçois deux sur cinq !

-         Connard, tu vas faire le trou à ton retour.

 

D'une voix hachée le capitaine nous fait comprendre de continuer notre progression. Le radio n'arrête pas de dire affirmatif, affirmatif mon capitaine, et il entend maintenant cinq sur cinq, tu parles !

 

      Le radio nous apprend que de l'autre côté six fells ont été tués. Ce salaud de commissaire a dû trancher ses liens sur une pierre ou encore son partenaire avait un couteau caché que l'on n'a pas découvert. Pourtant j'en ai trouvé un mais c'est celui de l'autre qui s'est échappé. Le pauvre type qui reste reçoit une rouste carabinée. Ce n'est pas de la torture les gars, on est seulement devenu méchant comme eux et il faut bien faire du renseignement, hein !

 

-         Retour à la maison, les gars, on n'est pas là pour jouer !

-         On nous attend à la cote 54 sur la piste.

 

      C'est une bonne opé. Cette dernière se termine pour nous sans casse et nous sommes heureux, mais c'est la seule fois où j'aurai à découper de la viande froide. Juré !

      De retour à la base, pour fêter ça le cuistot sacrifie "fifi", le chat mascotte. Le civet à un peu le goût d'urine mais ça change des rations. Le soir au foyer nous avalons des litres de"Gauloise", bière algérienne assez dégueulasse.

 

      Nous enchaînons les opérations et n'avons pas beaucoup de temps pour glander ou gamberger sous le soleil. Chacun est à son maximum. Le crapahut de nuit est le plus chiant. Je glisse sans bruit dans le noir devant la patrouille. Le ciel est grêlé de myriades d'étoiles. On remonte un "talweg". Imaginez une colonne de douze gars qui progressent dans la nuit et qui ont en commun la passion de l'escalade. On nous attend dans le coin, un coup de pétard puis deux…. On se fait canarder et on réplique en leur envoyant des pélots sur la gueule, la routine, quoi !

 

-         Putain de bordel ! C'est la merde, couchez vous.

-         Personne n'est touché ?

-         On n'est pas "en panique" les mecs, arrachez vous et on remonte le talus avec prudence.

-          

Un silence de plomb nous entoure. Les gus avancent sans un mot. Les fells se sont évanouis dans l'obscurité.

 

      Une journée de crapahutage, d'embuscades, contient parfois plus de vie qu'une existence entière ! Les définitions fumeuses des juteux pendant les classes sur : les talwegs, ligne de crête, arbre en boule et autres billevesées sont si lointaines pour nous qui sommes nuit et jour sur le terrain, si vous saviez !

 

      En cette fin d'été 61 je ne pense plus aux emmerdements passés ! Je plonge dans cette aventure "la chasse aux Fellouzes" avec la tranquillité et l'assurance d'un homme équilibré, d'un vieux briscard de la colo. J'ai eu peur, mais jusqu'à maintenant jamais la panique ne m'a saisi. Je fus même à certains moments, courageux, inconscient (comme aller rechercher ma gourmette en or perdue lors d'une embuscade qui nous était tendue) et mon acharnement dans certaines actions me valent de passer pour un soldat exemplaire (je suis même tireur d'élite et représente la 7ème Cie au Garant et à la MAT). De toute façon je dois leur renvoyer l'ascenseur car je n'ai pas effectué les soixante dix huit jours de taule, suite à ma tentative de suicide du début de l'année. Croyez moi la taule de la 7ème Cie c'est pas le confort trois étoiles, c'est à peine si on peut se tenir debout et lorsque le soleil darde ses rayons ça chauffe comme dans un hammam !

 

 

Et si avec Yolande, ma frangine, ma marraine de guerre en quelque sorte, j'allais me marier, sortir de mes émotions, revoir Paris et la métropole ! J'en parle au capitaine qui me dit que je vais commettre une folie. Je prends ma décision, j'écris à Yolande qui n'est plus rosière à cause de moi et qui ne demande que ça. Un mariage ça n'a jamais fait de mal à personne, me dis-je. Il faut que je demande la permission au colonel, le père de mon régiment. Il y a une enquête de police. Elle doit en pleurer de bonheur Yolande, lorsqu'elle apprendra que les argousins sont passés chez le boucher du coin, le fleuriste et le charcutier pour savoir si cette donzelle promise à un bon soldat de France  est de bonne moralité, qu'elle ne fait pas le tapin, rue de Paris, aux Lilas. Pour moi c'est aussi l'occase de me casser de ce trou, de revoir la métropole. L'affaire est faite et en France on se prépare à fêter l'évènement à l'église, à la mairie, chez le photographe et au restaurant sur les bords de la Marne.

 

      Mais dis donc mon petit Guy, pourquoi tu n'attends pas ton retour en France pour te marier ? Mes copains de Villemomble doivent rester sceptiques ! Imaginez un peu que vous êtes dans un bled pourri à des milliers de kilomètres de chez vous, que vous vous les gelez l'hiver et que vous grillez l'été, que vous avez à boire de la vinasse et de l'eau putride quand vous faîtes des kilomètres dans la caillasse sous un ciel bleu pastel, qu'on vous tire dessus comme à la fête foraine histoire de rigoler un peu. Je ne pousse pas au noir, mais merde, j'ai bien le droit aussi de retrouver ma petite amie, mes copains et de me taper un bon repas, non ? Vous devriez être touchés d'émotions !

 

      A Alger il m'est permis de prendre un avion militaire, si je ne me trompe pas un "Nord Atlas", il parait que c'est Yolande qui à payé le transport ! C'est que je n'ai que quatre jours de perm.

 

      A la gare de Lyon, Yolande et mes parents m'attendent. Les filles à Paris ont des petites robes d'été chatoyantes un vrai bonheur.

 

      La marida se passe comme d'habitude, gaiement. Mon pote, Jacques M, est mon témoin. Le voyage de noce se déroule à Fontainebleau. Juste deux jours pour convoler puis il faut repartir, replonger pour quelques mois.

 

      Histoire d'aller me reposer, je suis envoyé au poste de Bou-Hamoud sur un piton qui surplombe Hanoteau ; Le chef de groupe que je suis est accompagné d'un radio français et d'une dizaine de harkis. Ces derniers sont d'anciens rebelles "retournés". Quels meilleurs pisteurs de "fells" pouvons nous utiliser sinon d'ex fellaghas ? Je passe avec eux des journées sans problèmes. On tire sur des ombres qui au loin se profilent entre les rochers et les figuiers de barbarie. Nous plaisantons avec les scorpions en les faisant se suicider, les entourant par un cercle de feu, et nous jouons aux dominos où à chaque coup je me fais plumer d'une bière. De temps en temps je joue à l'infirmier en faisant des piqûres à ceux qui se sont fait darder par ces sacrés scorpions et le temps passe. Chaque soir nous nous endormons au son des mélopées. Je ferme les yeux sur leurs mœurs assez spéciales.

 

      C'est l'automne ! Au-dessus de nos têtes se détache sur l'azur du ciel le drapeau français. C'est le 11 novembre ! Le colonel vient nous voir et prononce quelques paroles viriles puis très vite, après avoir serré des mains, distribué des sourires aux harkis qui s'inclinent la main sur le cœur, repart, non sans m'avoir dit.

 

-         Ah, c'est vous le caporal Martignon ?

-         Oui mon Colonel.

-          

Le capitaine n'a même pas prévu comme à Montenotte un frichti nocturne. Visiblement ce n'est pas le genre à aller au club Med où autour d'un méchoui on grappille un petit morceau de viande en lampant un verre de thé à la menthe. Rien que d'écrire ces conneries ça me met l'eau à la bouche. Le menu du soir sera la même que celui des autres jours. On se tortore des nouilles, de la purée et de la viande congelée quand il y en a, arrosées par un pichtegorne comme dirait mon père. Il y en a qui disent qu'ils mettent du bromure dans le pinard pour que les mecs ne pensent pas aux gonzesses. Rien que d'y penser ça me fait bander !

 

      Depuis mon retour à Hanoteau, je l'avoue on est plus sympa avec moi. Tout en continuant à faire des patrouilles, je ne fais plus de grandes opérations. Le capitaine se dit sans doute, qu'un type qui s'est marié, qui a des relations avec des huiles à Paris, et qui a peut être flanqué un polichinelle dans le tiroir de l'épousée, il faut le laisser tranquille jusqu'à "la quille"

 

      On me donne d'autres fonctions qui me vont bien. Je suis responsable du foyer. On se rappelle que j'ai été dans une école de commerce, donc je dois savoir compter ! Ca ! Pour savoir compter les gars j'y arrive. Quand on me demande quatre caisses de "Gauloises" je vide Trois caisses de bibine sur le comptoir et je garde le reste pour moi, mais j'en facture quatre au gus qui a payé la tournée. Je dégoupille des bouteilles par dizaines chaque soir, c'est presque le bon temps, vu de là-bas ! J'ai aussi augmenté le prix des cartes postales de poupées à poil et sous le manteau je verse à siroter du rhum. Normal je suis presque quillard ! J'arrive ainsi à me faire un petit magot qui s'ajoute à ma maigre paye d'engagé. Ne rigolez pas, je suis en Algérie depuis deux ans déjà.

 

      Je traverse l'hiver 61/62 en louvoyant entre les balles et les éclats des 25--Le-Pere-cent--100-jours-de-la-quille--Hanoteau--Nov-196.jpgdernières sorties autour du village, en prenant une bonne cuite au   "père cent". Comme pour les autres on m'a fabriqué un petit cercueil qui me sert de tirelire. Il se remplit lentement sur le comptoir du foyer en attendant la quille.

      Ce dernier Noël en Algérie est pour moi le plus beau. Nous avons organisé 27 Le Reveillon de Noel Hanoteau 12 1961un spectacle dans la petite salle des fêtes d'Hanoteau près du camp. Sont présents des soldats gradés d'autres compagnies et de la S.A.S. Il y a même la fille du garde champêtre qui ne cesse de me regarder (la pauvre ! ça sent déjà l'indépendance et elle voudrait bien se faire la malle en France). On a formé un petit orchestre. (J'étais parti en Algérie avec ma guitare et je chante, ne vous en déplaise). Je me fais applaudir en roucoulant "Ne me quitte pas" et "il faut savoir quitter la table, il faut savoir.i.i.i.r…."

 

      J'arrive enfin à la "perm libérable" fin février 1962, la "Quille" quoi !

 

      Je ne ressens pas d'émotion particulière. Je suis venu en Algérie 24 mois parce que j'en ai reçu l'ordre. Les fells étaient mes ennemis. Ils ont souvent été tapis  près de nous, prêts à nous égorger; Rien ne justifie à mes yeux l'utilisation de leurs méthodes barbares de coupeurs de couilles !  J'ai connu des grêlées d'adrénaline, de peur mais aussi de rigolade, c'est cela la guerre d'Algérie et je ne peux m'empêcher de rire comme un con.

 

      On rentre au pays avec la certitude d'avoir fait son devoir.  Une petite promenade dans la tristounette ville d'Alger si belle sans doute autrefois. Personne ne peut plus rien pour l'Algérie Française.  Une page de l'histoire se tourne mais je m'en fiche, je retourne à Paris. On se dit au revoir, les copains de guerre se défont. Des jeunes filles le regard triste, nous regardent partir vers les bateaux.

 

      Sur le bateau qui nous ramène "le Ville d'Alger" en métropole, nous chantons à nous décrocher la glotte, nous buvons et nous chantons encore.  Certains dégueulent déjà. Une dernière fois je regarde s'éloigner ce pays maudit et Alger dont les villas descendent en gradin vers les plages de sable blanc.

 

      C'est beau, hein ! dit un mec. On dit ça quand on est démobilisé sans doute ! Une page se tourne.

reconnaissance de la nation Guy Martignon                                                   Reconnaissance de la Nation

 

      Rentré à Paris, je me sens gauche et mal dans ma peau dans ces grandes avenues bruyantes. Je suis revenu dans ma banlieue mais j'ai l'impression d'avoir encore la tête à Hanoteau. Je plonge dans une nouvelle vie, tentant d'oublier l'Algérie en sachant bien que c'est impossible. Je ne vais pas oublier la solitude et les vallées inconnues, les attentes en embuscades, les "chibanis" à la longue barbe blanche et à la courtoisie désuète, les petites filles arabes, si belles avec leurs grands yeux tristes !

 

      C'est con, mais ici il fait froid, il pleut, et j'ai l'impression que je ne suis plus le même. Je veux croire que l'Algérie ne sera plus qu'un souvenir ! Je ne crois pas cependant que je vais tourner la page car quelques mois de ma jeunesse m'ont été volés, comme à mon père et à mon grand père. C'est comme ça !

 

 

      Guy MARTIGNON.

 

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commentaires

N
monsieur;<br /> ce que vous racontez n'est pas vraiment exact , car j'ai été a hanoteau<br /> et je connais bien ce village, j'ai travaillé a la sas avec lecommandant dementalembert ensuite avec le lieutenant lorssin , c'est tout ce que je voulais vous dire, car maintenant il y a tant<br /> d'années qui ce sont écoulées. nathalie
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