J'AI SERVI AU 2ème BATAILLON DU 22ème REGIMENT D'INFANTERIE
Témoignage pour le 50ème Anniversaire du Cessez le Feu en ALGERIE
En Août 1955 j'ai fait mes classes au centre d'Instruction du Train de MONTLERY (91). Tous sursitaires dans ma section j'ai suivi les pelotons de Brigadier et de Maréchal des Logis. Puis j'ai réussi le concours des E.O.R. pour SAINT MAIXENT (79) où l'on préparait à la "guérilla".
Reçu Aspirant en septembre 1956, j'ai choisi le 2ème Bataillon du 22ème R.I. basé dans la 9ème Division d'Infanterie. Sans trop savoir où il se trouvait. Au terme d'une année de formation, j'étais prêt à assumer la fonction de chef de section.
Alors c'est l'embarquement à MARSEILLE sur le Ferdinand de LESSEP, vaisseau de la Marine Nationale pour transporter des centaines d'Officiers de réserve de toutes armes vers ALGER.
Après deux longues journées d'attente dans les hangars de la Gare Maritime, sans pouvoir sortir dans ALGER, je prends un train spécialement affecté aux militaires pour ORLEANSVILLE. Les officiers et les gradés sont dans le wagon de tête. A l'arrivé dans une gare la locomotive est mitraillée depuis les collines surplombant la voie. Je ne peux riposter puisque je n'ai pas d'arme. C'était un bon début et cela mettait dans l'ambiance de l'insécurité.
A ORLEANSVILLE, un véhicule amène les 4 "Aspirants" du 22ème R.I. au P.C. de la 9ème Division d'Infanterie, où le Général nous reçoit. Celui-ci nous informe que nous partons pour TENES, dès l'arrivé du convoi protégé; Il fait une chaleur écrasante dans la vallée du CHELIFF et nous espérons que le bord de mer à TENES sera plus tempéré.
Après une soirée mémorable au Mess, le Colonel du 22ème R.I. reçoit les 4 "Aspi" à son P.C. et nous répartit dans les 4 compagnies du II/22ème R.I.. Le Colonel lisant dans mon dossier que j'ai travaillé chez un géomètre me dit : vous avez l'habitude de marcher à travers champs, je vous affecte à la 8ème Compagnie à CAVAIGNAC car le Capitaine "Ancien d'Indochine", marche jour et nuit….. Cela promettait des journées harassantes loin du bord de mer.
Dans l'après midi après la traversée des impressionnantes Gorges de TENES, j'arrive à MONTENOTTE où une jeep précédée d'un Half-track, me conduit à CAVAIGNAC où l'officier "de jour" confirme que la Compagnie est encore en opération. Je fais la connaissance du capitaine très tard. Le 22ème R.I. a été reconstitué pour le maintien de l'ordre en A.F.N., toutes les sections ont un effectif au complet. Le Capitaine me met en "doublon" du Lieutenant de réserve "rappelé" de la 4ème section, le temps de m'adapter aux missions.
Cela n'allait pas tarder : Le 1er dimanche d'octobre 1956, la Compagnie est prévenue par la gendarmerie, qu'un "Goumier" d'un régiment de tirailleurs Algériens, en permission dans son Douar, a été enlevé dans la nuit par les rebelles. Ma section embarque dans les GMC, prend la piste du Marché de TALASSA, ratisse le secteur jusqu'aux metchas d'où le "goumier" a été enlevé. Après plusieurs heures de recherche, la section, la section renonçait, lorsque les "you-you" des femmes nous apprennent que le "Goumier" a été retrouvé dans une ravine. Affreux spectacle que cet homme, mains liés dans le dos et égorgé. S'agissant d'un militaire, la section lui présente les armes avant que sa famille l'inhume selon le rite musulman. Triste 1er dimanche en Algérie……
Jusqu'à maintenant il n'y avait pas eu d'exaction dans le secteur de la 8ème Cie. Mais dans les semaines suivantes ce furent : des poteaux téléphoniques sciés, du bétail abattu, des coups de fusils de chasse contre des voitures, des menaces contre les fermes isolées. La semaine suivante c'est l'attaque du car régulier sur la route de TENES : le chauffeur Musulman fût tué d'un coup de fusil, le car basculé dans le fossé est incendié tandis que les voyageurs affolés se sont enfuis à travers le bled…..
Puis chaque jour a amené des attentats montrant la recrudescence de l'activité des rebelles, malgré les incessantes opérations du Bataillon, dans le bled et les djebels environnants.
C'est alors que deux sections de la 8ème Compagnie vont connaître au Nord de FROMENTIN, le secteur du Douar B….. où, des renseignements indiquent qu'une bande de rebelles s'y tiendrait. Au retour par une piste défoncée, j'aperçois de la cabine du GMC dont je suis Chef de bord: deux individus en treillis bleu foncé, qui sur la crête regardent passer notre convoi dans le vallon. Craignant l'embuscade j'essaye en vain d'alerter par radio le Capitaine. Au retour à CAVAIGNAC je l'informe ce qui décide le PC du Bataillon de déclencher une opération pour le 15 octobre 1956.
Partis dans la nuit, les soldats du Bataillon et des 7ème et 8ème Compagnies de combat, ont crapahuté toute la matinée. Ma section est placée en réserve à la Maison Forestière dont le garde a été évacué, à cause des menaces des rebelles. Ma section ouvrait à 14 heures les boites de ration, lorsque je vois le Chef du Bataillon, venir tout pâle : un rebelle dissimulé dans les broussailles, lui avait tiré dessus avec un fusil de chasse. Une chance : le coup n'avait touché que son étui de P.A.!!
Aussitôt après des coups de canon et le crépitement des mitrailleuses se font entendre : Une des Compagnies tirait sur des rebelles en treillis bleus et armés. Ils s'enfuyaient et disparaissaient vers la forêt et des metchas proches. La section d'appui du Bataillon tirait au bazooka et au canon de 75 sans recul sur ces metchas transformées en fortins. L'assaut anéantissait les rebelles qui s'y étaient réfugiés. Ma section revenait en fin d'opération vers le douar et l'éclaireur abattait un rebelle en fuite.
Dans cette action de guerre deux de nos soldats avaient été tués : ce sont des faits qui vous marquent….. Mais le II/22 R.I. avait mis hors de combat une partie de la Katiba, récupéré des armes et des munitions, détruit le refuge des H.L.L à l'origine des sabotages commis dans ce secteur.
Les jours suivants se passaient en ratissages dans les massifs boisés du DAHRA, sans découvrir les rebelles dont la présence se remarquait par des abris aménagés en sous bois.
Début novembre 1956 je fus détaché avec une section à l'Est d'HANOTEAU pour renforcer la section de la 7ème Compagnie qui implantait un poste. Il fallait en priorité élever des murettes de pierres récupérées dans l'oued autour des tentes, pour protéger ce camp sur un éperon, dominé au Nord par le djebel BISSA, et surplombant au Sud l'Oued HAMELIL où nous faisions des patrouilles de reconnaissance.
Fin novembre 1956 je revenais à CAVAIGNAC pour le départ des "rappelés". Pendant mon absence une section d'appelés du contingent était arrivée, j'ai eu le commandement de la 3ème section. L'effectif de la 8ème Compagnie s'étant beaucoup réduit, le rythme des opérations s'est ralenti. Lors de l'hiver 56/57 avec ma section j'ai effectué des bouclages des embuscades et plusieurs héliportages évitant les départs nocturnes et les longues marches. J'ai participé pendant deux semaines où nous étions en bivouac sous tentes, au recensement d'un Douar isolé et à tendre des embuscades sans résultat.
En février 1957 après 18 mois de service, passant de P.D.L. à A.D.L. et en même temps devenant sous Lieutenant, ma section a été détachée à CHASSERIAU. Le Maire, un"agriculteur" mettait à ma disposition l'école et le logement de l'instituteur inoccupés. Je n'avais ni radio ni véhicule pour joindre ma Compagnie. Il me fallait déjà "fortifier" ce poste improvisé, d'abord en obturant les fenêtres sur rue, puis en entourant les locaux avec des barbelés et des murettes, de crainte d'un harcèlement et surtout à cause de la garde des explosifs de la carrière voisine. Je devais assister dans ses missions à l'extérieur du village, la brigade de Gendarmerie où quatre de mes soldats logeaient.
Malgré ces occupations, j'effectuais des patrouilles de jour et de nuit, en variant les itinéraires. Je maintenais la formation militaire des soldats et gradés en les entraînant au tir chaque semaine. Lorsqu'une opération était prévue vers FLATTERS un convoi venait prendre ma section. Nous partions tôt et rentrions dans la nuit, tandis qu'au poste il ne restait qu'un piquet de garde.
J'ai accompagné plusieurs fois les gendarmes dans leur véhicule, sur les lieux d'assassinats commis par les rebelles. Une nuit il pleuvait un tel déluge que j'ai renoncé à faire la patrouille où j'avais prévu d'aller au col. Cette nuit là, les rebelles ont tué par armes à feu, 6 ou 7 fellahs adultes d'un Douar voisin. Ne voulaient-ils pas leur apporter une aide matérielle ? Un acte de terrorisme odieux qui s'était passé à 500 mètres du poste et mes sentinelles n'avaient rien entendu. Aux traces laissées par les pataugas sur le sol détrempé, les gendarmes notèrent qu'une trentaine de H.L.L. avaient transité d'un djebel vers un autre. J'ai renforcé la protection de mon poste et procédé à des exercices de tirs nocturnes pour montrer que ma section restait parée à toute attaque, et à tous moments.
Le printemps s'annonçait merveilleux et les amandiers fleurissaient. Un matin tôt, je suis avisé par le téléphone du bureau de poste, que le Général de la 9ème D.I. se rendant à TENES, atterrirait à CHASSERIAU. A peine avais-je reçu le message qu'une "Alouette" se posait près du village. Pas le temps de placer une équipe de protection de la D.Z., ni un groupe pour rendre les honneurs. J'accueille le Général dans la cour. Je lui fais visiter les lieux, lui montrant les dispositifs prévus en cas de harcèlement. Il remarque les murettes bien verticales, en pierres sèches avec meurtrières auxquelles 2 de mes soldats travaillaient chaque jour. En fin de visite, il me dit : Compliment c'est un véritable petit bordj!!! Je lui fais présenter les armes par un groupe et déjà le Général s'est dirigé vers son hélicoptère.
Quelques jours après, ma permission est accordée. Alors ma section est rappelée à CAVAIGNAC, pour être remplacée à CHASSERIAU par le P.C. du 1/42ème R.A. ou du 131ème R.I.
De retour fin Mai 1957, j'apprends que la 8ème Compagnie monte un camp sous tentes à TAOURIRA sur le versant Nord du Djebel BISSA que je rejoins avec ma section. Le Chef de Bataillon me charge d'aménager un piton voisin : le Djebel AMEROUNA pour accueillir toute la 8ème Compagnie. Ce piton étant inaccessible aux véhicules, avec le bulldozer et son chauffeur mis à ma disposition, je crée à travers rochers et broussailles, une piste en lacets jusqu'au sommet. Puis le bull arase ce piton boisé jusqu'à obtenir une plateforme suffisante où s'installeront les baraquements et les tentes de la Compagnie. Pour ce travail, je monte surveiller les travaux chaque matin avec l'un ou l'autre des groupes de ma section. Le soir nous redescendons à TAOURIRA ainsi que le bulldozer et son chauffeur F.S.N.A. qui dit avoir reçu des menaces des rebelles.
Avant la fin des terrassements, le Sous Lieutenant Commandant la Compagnie arrivé avec le convoi de ravitaillement, me propose de retourner à CAVAIGNAC pour ramener mon paquetage et régler avec le Sergent Major, le remboursement des frais de retour de ma permission.
Le lendemain matin 8 juin 1957 je rejoins à MONTENOTTE, le convoi du Colonel du 22ème R.I. Arrivés à mi chemin le Colonel stoppe net le convoi, car il aperçoit des silhouettes sur le piton que la Compagnie aménage. Une rafale de Fusil Mitrailleur miaule sur nos têtes : Ce sont les fellaghas qui sur notre piton, nous tirent dessus alors que ce devait être un groupe de la 8ème Compagnie en protection du bulldozer!
Le Colonel me charge du commandement de son groupe d'escorte et de monter à l'assaut du piton. Je n'ai que mon pistolet automatique. La pente et les broussailles rendent la progression difficile. Au fur et à mesure de la montée, je récupère des soldats du groupe de protection du Bull. Ils expliquent que les fellaghas étant arrivés avant eux, ont tendu une embuscade. En tête le Sergent Chef du groupe et l'éclaireur sont tués. Le reste du groupe en ripostant à mis hors de combat deux rebelles. Mais devant le feu adverse, le groupe s'est dispersé sur le versant opposé où je venais de les retrouver parmi la végétation. L'arrivée imprévue du convoi avait certainement limité le désastre!!!
Le terrassement fut activé. Pour le ciment nous puisons l'eau à une source au flanc de la colline d'en face. La crainte d'une attaque est permanente. La rapidité des travaux permet l'arrivée des matériels pour monter le camp et les baraques en bois. Le 14 juillet 1957 l'inauguration du Bordj à lieu en présence des autorités civiles et militaires de TENES.
Cette implantation au cœur d'un Douar acquis au F.L.N., a facilité de nombreuses opérations dans ce massif montagneux, boisé, truffé de caches pour les rebelles des WILLAYA IV & V. transitant du massif du DAHRA vers celui de l'OUARSENIS. Il ne se passe pas de nuit sans que les sentinelles observent des coups de lampe ou des aboiements de chiens montrant que des déplacements s'effectuent malgré l'interdiction. Sous la protection de notre camp une vingtaine de harkis s'installent dans une mechta qu'ils ont construite.
Sur ce piton les conditions de vie sont difficiles : la chaleur diurne est accablante malgré l'altitude de 600 mètres. A l'inverse les nuits sont glaciales : de la mer monte le soir une fraîche et épaisse brume rendant la visibilité nulle une partie de la nuit. Cela crée un climat angoissant car nous pouvons être harcelés ou tomber en embuscade lors des départs de nuit en opération. C'est lors d'une de ces nuits de brume que les H.L.L ont volé les deux mulets de la Compagnie sans que les sentinelles s'en aperçoivent. L'insécurité permanente, les écarts de température, le manque d'hygiène, mettent le moral et les organismes des soldats et des gradés à rude épreuve.
Après 26 mois de service militaire j'ai quitté l'ALGÉRIE à la mi-octobre 1957.
Jacques BAILHACHE.