IL N'Y AVAIT PAS QUE DES HEROS EN ALGERIE
1ère Partie
Mon service militaire en ALGERIE du 11 mars 1958 au 20 Avril 1959
Ce chapitre est dédié à Madame la Générale HEUX
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Ma mère a eu la bonne idée de garder la presque totalité des courriers que j’ai envoyés et cela va bien m’aider dans la rédaction de l’histoire de cette période de ma vie
Nous devions être présents à la caserne DUPLEIX le Samedi 8 Mars pour prendre un train dans la soirée : direction Marseille. Les trains de militaires sont transformés en omnibus et s’arrêtent souvent pour laisser passer les trains de civils. Il nous a fallu 17 heures pour rallier la capitale des Bouches du Rhône, heureusement nous n’étions que 5 dans un compartiment de 8 places, mais 5 bidasses enfermés pendant toute une nuit ça sent ! Ca sent le soldat, ça sent les pieds, ça sent le suint, ça sent l’aigre, ça sent pas bon.
A peine installé, un militaire ça mange, ça boit, ça joue aux cartes, ça retire ses chaussures et puis ça arrive à dormir. Dans le courant de la nuit j’étais allé me balader dans le couloir pour changer d’air, c’était le moment où nous traversions une gare déserte. J’ai réussi à lire sur un panneau « MACON ». J’étais loin de me douter que 8 ans après ce voyage organisé mais involontaire j’allais vivre dans cette région avec femme et enfants.
A l’arrivée, comme des centaines de milliers de garçons qui transitèrent par la ville de la « bonne mère », nous fûmes embarqués en camion pour rejoindre le camp Sainte Marthe. Très vite nous fûmes installés dans de vastes chambrées et très vite nous avons compris qu’il ne fallait pas moisir dans le secteur car des corvées allaient être distribuées. L’un d’entre nous repéra au fond d’une cour et derrière un bâtiment une large brèche dans un mur qui aurait permis le passage d’une escouade ! On s’engouffra à toute allure en escaladant deux ou trois parpaings. J’ai toujours pensé que la direction du camp connaissait ce trou mais laissait faire les « évasions » réalisant ainsi de substantielles économies sur la nourriture. A peine avions nous retrouvé la liberté qu’un camion militaire s’arrêta à notre hauteur et le chauffeur nous proposa de nous descendre en ville. Il nous débarqua sur le Vieux Port. Malheureusement en sautant du bahut le bas de ma capote (manteau de soldat) est resté accroché à une aspérité et j’ai entendu « crac ». Le haut de la fente était déchiré horizontalement sur au moins 5 cms. Tout de suite j’ai pensé à la sanction si je n’arrivais pas à réparer le vêtement. C’est une brave patronne de bistrot qui me voyant bien ennuyé sorti de sa boite à ouvrage fil et aiguille pour recoudre impeccablement la déchirure. Plus tard, copain avec un magasinier, j’ai pu changer ma capote accidentée contre une autre pratiquement neuve. Je passe les détails de notre virée dans les rues chaudes de Marseille, ils ne furent pas glorieux et ils ressemblent en tout point à ceux que vécurent nos prédécesseurs et nos successeurs. Un soldat en goguette ça manque souvent d’imagination et il ne fait que rééditer les nombreuses couillonnades qu’il a entendu raconter pas les anciens.
Le lundi 8 mars vers 9/10 heures nous prenons la direction du port en camion avec notre barda, un lourd barda. Le moral était au beau fixe, c’était un peu comme si nous partions en vacances. Il faut dire aussi que nous étions une équipe de choc très soudée car après avoir été séparés à la suite de nos « classes » à Monthléry, nous nous sommes bien vite retrouvés. Des camions s’échappaient les chansons du moment, je me souviens particulièrement de « Marjolaine »
Marjolaine le printemps fleurit
Marjolaine j’étais soldat
Mais aujourd’hui je reviens près de toi
Le pauvre Francis Lemarque aurait été consterné d’entendre sa chanson complètement matraquée, Dalida aussi. L’inévitable « Ce n’est qu’un au revoir » était au programme, mais il y avait aussi par ci par là des tonitruants « La quille bordel ».
Très vite nous arrivâmes en vue de notre bateau. Nous espérions le « VILLE d’ALGER », le « VILLE d’ORAN » ou le « VILLE de MARSEILLE », que nenni, ce fut le « DJEBEL DIRA ». 113 mètres de long, 15 mètres de large, 16,5 nœuds de vitesse moyenne et lorsqu’il ne transportait pas de militaires il pouvait accueillir 306 passagers dont 56 en 1ère classe. Mais pour notre traversée nous étions au moins 500 ! Nous n’avions rien contre ce navire mais il n’était pas aussi majestueux que les autres et l’état de la mer nous faisait craindre le pire, nous n’avions pas tort.
En une demi heure nous étions installés dans des cabines que nous avions monnayées à l’équipage contre la somme de 2500 francs de l’époque soit une quarantaine d’Euros 2005. Nous avions consciencieusement pris la nautamine que nos mères avaient glissée dans nos poches et nous pouvions assister aux manœuvres de largage des amarres sereinement.
Pour la majorité d’entre nous c’était une découverte et malgré le mauvais temps nous nous régalions du spectacle magnifique qu’offre la sortie du port de Marseille. Hélas très vite le Château d’If et Notre Dame de la Garde s’estompèrent dans la grisaille.
Notre rafiot bouge un peu mais c’est très supportable. Midi sonne, notre cabine nous donne droit à une salle à manger. Nous sommes en pleine mer et les creux sont de plus en plus importants et déjà les moins résistants sont d’une grande pâleur. Il y a à bord des aviateurs recroquevillés en tas sur le pont, ils sont copieusement arrosés par des vagues de plus en plus menaçantes, on ne voit plus que des tas de tissus bleus. Dans les coursives on commence à glisser sur des vomissures, mais dans notre bande ça va. 19 heures, il faut penser au dîner, direction la salle à manger où nous avions été fort bien traités pour le déjeuner. Dans les assiettes une excellente soupe de poissons s’offre à nos papilles. Et là d’un seul coup ça ne va plus du tout, l’effet de la nautamine est devenu nul !
Je suis le premier à déguerpir à toute allure, les coursives sont devenues impraticables, il faut se cramponner aux parois. Catastrophe les toilettes sont bouchées, trop tard pour remonter sur le pont et je ne peux qu’en rajouter. 50 ans après j’ai encore dans le nez les odeurs mélangées de mazout, de vomis, de soupe de poissons bref les odeurs du Djebel Dira pendant une tempête.
Presque toute la nuit ce fut un défilé de troufions malades comme des chiens vers les bastingages. Dans ces cas là, surtout ne pas aller à l’arrière ni même au milieu mais bien s’appliquer à aller donner à manger aux poissons à la proue, tant pis pour ceux qui sont derrière. Je ne vais pas expliquer pourquoi, c’est facile à comprendre. Nous n’en pouvions plus, les estomacs et les abdominaux (j’en avais à l’époque) étaient en marmelade. Nous sommes arrivés à ALGER à 15 heures soit un voyage de 29 heures qui ne dure d’habitude qu’une vingtaine d’heures. La tempête était si importante, avec des creux de 10 mètres, que le commandant préféra passer par la partie occidentale du golfe du lion.
Et puis, miracle, dès que nous fûmes en vue de la côte, la mer se calma et nos soucis s’envolèrent. Nous pouvions en toute quiétude assister à l’approche du navire vers Alger la Blanche qui ne l’était pas tellement ce jour là. Il était 15 heures 30 lorsque le Djebel Dira solidement amarré se vida de ses occupants. Il y avait sur le quai beaucoup de personnages importants venus nous souhaiter la bienvenue. Des dames qui arboraient le logo de la croix rouge nous remirent un petit paquet et une carte postale pour écrire notre premier courrier algérien. J’avais hérité d’une carte de AIN TEMOUCHENT riche de 4 vues : l’Ecole d’agriculture – Place Gambetta –le jardin public et l’Eglise et la Place de Verdun.
Tout de suite je fus séduit par la beauté d’ ALGER, par son ambiance, ses odeurs et la truculence des Algérois.
La Base de Transit était archi pleine, les couloirs étaient encombrés par des lits, nous eûmes la chance de dégotter un petit coin acceptable dans les caves. Nous avons pu sortir en ville de 18 à 21 heures. Nous étions complètement éreintés par notre escapade marseillaise et les méfaits de la tempête, aussi après avoir dîné copieusement pour nous requinquer nous n’avions qu’une hâte c’était de rentrer pour chercher un sommeil réparateur.
Le lendemain c’est en pleine forme que nous prenions le train sur le coup de 14 heures 30 en direction d’Orléansville. Ce train de la ligne ALGER-ORAN, on l’appelait l’INOX à cause de son matériau de fabrication et de son aspect. Le FLN s’est appliqué à le faire dérailler de nombreuses fois provoquant ainsi des immobilisations assez longues et surtout beaucoup de victimes. C’était leur « Bataille du rail » à eux !
Le voyage, bien qu’inconfortable, fut l’occasion de découvrir l’Algérie, nous ne pensions pas tellement bavarder, nos yeux était écarquillés et heureux de découvrir la beauté des paysages. Tout de suite j’ai senti que j’allais l’aimer ce pays. Nous sommes passés par El Affroun, Blida, Affreville, Duperré, Oued Fodda, des villes que j’aurais l’occasion de traverser mais en voiture par la N 4.
Nous étions dans la plaine du CHELIF avec le DAHRA à droite et l’OUARSENIS, à gauche dans le sens de la marche du train, qui porte bien son nom puisque en berbère cela signifie « Rien de plus haut »,
Notre débarquement sur les quais de la gare de notre destination n’eut rien à voir avec notre arrivée sur les quais maritimes d’ALGER. Pas un chat, personne pour accueillir notre détachement d’une soixantaine de bonshommes. Le responsable, un brigadier-chef qui devait accomplir ce jour là sa première mission, était bien ennuyé. Il réussit à intercepter un capitaine qui passait par là tout à fait par hasard. Il tombait des nues mais apparemment très satisfait de recevoir des « renforts », il s’empressa de donner 3 ou 4 coups de fil qui permirent de débloquer une situation un tantinet ridicule. Enfin nous fûmes hébergés à la caserne LASALLE 59ème Compagnie de Quartier Général. Visiblement « on » ne nous attendait pas, c’était paraît-il des aviateurs qui étaient attendus.
Nous avons appris assez vite que nous devions être mutés dans un Régiment d’Infanterie, le 22ème ou le 131ème, ce n’était pas vraiment une bonne nouvelle. Mais grâce à quelques rigollots de la bande, je pense en particulier à Jacques FIX l’Arpajonnais, nous entendions plus d’éclats de rire que de jérémiades et le moral restait bon.
Notre casernement se résumait à une paillasse posée à même le sol, elle portait bien son nom, c’était un grand sac rempli de paille. Ca sentait bon, mais ça piquait les fesses ! Apparemment « on » ne savait pas trop quoi faire de nous, aussi de temps en temps 2 ou 3 d’entre nous étaient désignés pour aller patrouiller en ville. Il s’agissait de parcourir la rue d’Isly, l’artère principale, dans les deux sens de 8 heures à 11 heures et de 13 à 16 heures : ce n’était pas très folichon mais cela avait l’avantage de nous familiariser avec l’environnement.
C’est le Samedi 15 Mars 1958 que s’est dessiné mon avenir algérien. Assez tôt dans la matinée nous apprenions que la 59ème compagnie de QG qui régissait le personnel de l’état-major de la 9ème Division d’Infanterie avait besoin, pour compléter les effectifs de 4 secrétaires dactylos, d’un mécanicien et d’un coiffeur. Nous étions une dizaine à convoiter la place de secrétaire, il fallut passer un concours de dactylograhie (temps, présentation etc…). Je me suis présenté avec beaucoup de culot, mes connaissances en frappe étant assez limitées. Je ne suis pas allé très vite mais j’ai soigné la présentation, et coup de théâtre je suis arrivé 1er devant GICQUEL, un pro de la machine à écrire. Cette première place me valut le privilège de choisir mon affectation. Les postes à pourvoir étaient : secrétaire au 5ème bureau (action psychologique) – secrétaire au 2ème bureau (renseignements) – secrétaire au bureau du Chef d’Etat-Major et enfin secrétaire au Cabinet du Général Commandant la 9ème DI et la Zone Ouest de l’Algérois. Les 4 postes étaient certes intéressants mais bien évidemment c’est celui de secrétaire au cabinet du Général qui eut ma préférence. Mon copain PASSONI, mécanicien de métier se retrouva, bien content, au garage de la Cie de QG et GICQUEL fut nommé au secrétariat du Chef d’Etat-Major.
La petite bande qui s’était constituée depuis MONTHLERY, DUPLEIX et les INVALIDES avait volée en éclat : FIX était affecté à MARBOT au 2/131ème RI, MANCHON à MILIANA au 3/131ème RI etc….
Très vite je fus installé dans un bureau qui était aussi une chambre à l’usage du secrétaire de permanence. Le secrétaire en place, MARTIN, que je devais remplacer puisqu’il était libérable me présenta le travail et les membres du secrétariat. Je vais essayer de ne pas en oublier : Chef du Secrétariat – Adjudant-Chef DUPRAT qu’on appelait « Mon lieutenant » comme le veut la tradition dans la cavalerie et il y tenait ! Adjoints – Maréchal des Logis Chef GALLAIS et le MDL LOPEZ, un pied noir d’ORLEANSVILLE. Loulou LERAY , le motard estafette, PIATIER, DORCHNER et FOURNIER, les chauffeurs. La dactylo, oui il y avait une dactylo, je n’ai donc eu à me servir d’une machine que très épisodiquement, Melle FACKLER vieille fille d’une cinquantaine d’années très revêche.
Le patron était le Général RENAUD, un brave homme rondouillard, que je n’ai pas connu longtemps, il fut remplacé par le Général Jean GRACIEUX le 1er Avril 1958.
Jean GRACIEUX était l’un des quatre généraux parachutistes que comptait l’Armée à cette époque. Il est né le 16 juillet 1908 à REALMONT dans le TARN et il est décédé le 25 avril 1974 à l’hôpital de la Salpêtrière à PARIS. C’était un roc, une force de la nature, un visage buriné à l’image de ses compatriotes du LAURAGAIS , mais un visage illuminé en permanence par un sourire réconfortant, reposant. C’était un homme animé d’une grande sagesse et d’une diplomatie digne d’un représentant du quai d’Orsay. La porte de mon bureau était ouverte en permanence et le matin en passant devant il me faisait un petit signe de la main (c’était un coucou ce n’était pas un salut) et lançait à la cantonade : « Salut Brun, t’as bien dormi, t’es en forme, on va avoir du travail aujourd’hui ». Du travail on en avait tous les jours et je ne m’en plaignais pas. Et souvent le soir en partant il passait son nez à la porte « T’as fini Brun, je m’en vais, je t’emmène ? » Je ne me le faisais pas dire deux fois, j’étais heureux de rentrer dans la 403. Nous habitions au même endroit, à « la Maison du Général », une vieille grande bâtisse de trois étages où logeaient les officiers supérieurs de l’Etat-major.
50 ans après, je vais faire travailler mes méninges pour tenter de reconstituer la composition du Cabinet
ADJOINTS : Colonel LE PORZ un artilleur et le Colonel de BELLENET
ADJOINT ET COMMANDANT DU SECTEUR D’ORLEANSVILLE, il y avait 6 secteurs dans la ZOA : Colonel MOREL futur Inspecteur de la Légion Etrangère.
CHEF DE CABINET: le brave Colonel GOIRAN, un nicéen érudit qui fut l’un des organisateurs des nuits de l’Armée. A ma libération il me demanda de lui expédier, le catalogue de l’exposition de l’Art Précolombien qui se tenait au Musée de l’Homme. Ce que je fis bien sûr pour son grand plaisir.
AIDE DE CAMP : Capitaine Pierre HEUX, j’ai connu deux autres aides de camp : le lieutenant de DINECHIN, c’était après lui et le capitaine de LESTANG c’était avant. Je les ai connus très peu de temps et je n’ai jamais eu avec eux la sympathie et je peux dire la complicité que j’avais avec Pierre HEUX . C’était un Normand né à ROUEN le 16 Novembre 1928, il finit sa carrière avec le grade de Général de Brigade, il est décédé en 1995.
CHEF D’ETAT MAJOR : Colonel MARQUEZ Peu causant, toujours soucieux, j’ai eu à faire avec lui une fois : (voir plus loin) , puis le Colonel CECCALDI, artilleur qui fit parler de lui à KOUFRA et en Janvier 1960 au cours des barricades. Il commanda par intérim pendant un temps la 10ème DP.
SOUS-CHEF D’ETAT MAJOR : Lieutenant-Colonel FOURNIER-FOCH, petit-fils du Maréchal. Il est décédé dans sa 94ème année le 16 janvier 2006 à CORDON (74) entre SALANCHES et MEGEVE
Et puis en vrac toute une équipe de colonels, commandant de régiments et de secteurs : Colonels LALLEMAND et ESTEULLE (22ème RI – TENES) – BRITSCH – BARADA – MEYER – MAINIERE de SCHAEKEN (131ème RI - TENIET EL HAAD) Le Colonel de SCHAEKEN qui portait monocle ne se déplaçait jamais en opération sans une espèce de petite guérite qui lui servait de WC : les pilotes des gros hélicoptères SIKORSKY se faisaient un malin plaisir de rester en stationnaire au dessus de l’édicule jusqu’à ce qu’il se renverse à la grande fureur du colon, il fut malheureusement tué au cours d’une opération à BOU CAID , Commandants PEPIN LE HALLEUR et PAUCOT (décédé le 22 Octobre 2009 à l’âge de 91 ans – Colonel - )
Et enfin notre assistante sociale bien-aimée Simone GUILLE, qui fut un court moment de SAILLY pour devenir HEUX pour toujours.
J’allais oublier l’ordonnance du Général, il y eut ANTOGNARELLI puis un drôle de bonhomme sympathique qui avait fait les 400 coups, le Caporal-Chef de la Légion Charles HYBS . GRACIEUX le traînait dans ses bagages depuis l’Indochine : il se serait fait découper en rondelles pour son patron.
Mon travail était assez varié : enregistrement du courrier, ça c’est classique, présentation des courriers à la signature, tous les matins faire un résumé de ce qu’on appelait les BRQ (Bulletin de renseignements quotidiens) qui arrivaient des 6 secteurs, balader les journalistes (j’aimais bien), donner un coup de main au mess les jours de grandes occasions (ça aussi j’aimais bien !) etc….
Le cabinet s’était aussi le bureau des décorations, les dossiers arrivaient sur mon bureau et je devais mettre de l’ordre dans la présentation : c’était un rituel qui avait dû être mis en place par le prédécesseur du prédécesseur de mon prédécesseur et il n’y avait pas de raison pour que je change quoi que ce soit . En haut à gauche de la demande j’épinglais un papier d’un huitième de page qui donnait l’état civil du bonhomme et en 4 ou 5 petites lignes je devais résumer le motif de la proposition. En bas et à droite j’inscrivais au crayon papier un O (oui) ou un N (non) . Les motifs du « NON » étaient variés cela allait de la demande déjà formulée, au motif manquant de précisions ou bien encore s’il s’agissait d’une demande concernant un accrochage, il fallait que cet engagement ait été signalé dans un BRQ. C’est ainsi qu’un beau jour j’ai rencontré un gros problème avec un capitaine du service du matériel, c’était un vieux capitaine. Il était proposé par je ne sais plus qui pour une Croix de la Valeur Militaire. Le motif disait qu’il s’était particulièrement distingué lors d’une action rebelle perpétrée à la sortie de Oued Fodda, les fellaghas étant dissimulés à la sortie du petit pont du chemin de fer. Manque de pot pour lui, c’était un dimanche, nous revenions de la piscine avec la 203 du colonel MARQUEZ et nous le suivions, il était lui aussi dans une 203 accompagné par 2 ou 3 personnes. Je l’avais remarqué à la piscine. Nous avons été, c’est vrai, dans la ligne de mire de 3 ou 4 zigotos mais en fait de s’être « particulièrement distingué », il avait fait comme nous. Grâce au sang froid et à la dextérité de nos chauffeurs respectifs nous nous sommes débinés à toute allure en tirant pour la forme 2 ou 3 coups de 9 mm par les fenêtres des voitures qui étaient grandes ouvertes (il n’y avait pas de « clim » à l’époque !). Aucun impacts de balle sur les voitures, nos lascars étaient particulièrement maladroits : seule une grosse trouille nous a accompagnés pendant quelques kilomètres. En voyant la demande j’ai pensé aux copains qui étaient autrement exposés que nous et qui, eux, méritaient des kilos de médailles, aussi c’est tout naturellement que j’inscrivis un petit « N » sans me douter du foin que cela allait faire. Il fallut que j’explique au Colonel GOIRAN , Chef du Cabinet, les raisons de mon « N » et bien sûr il le confirma. Environ 15 jours après je fus surpris de voir débarquer le courageux capitaine qui m’indiqua qu’il avait rendez-vous avec le général, il n’avait pas l’air content. Je le conduisis chez GOIRAN comme le voulait le protocole. Au bout d’un quart d’heure le général me demandait de venir dans son bureau, il me fit asseoir : à mes côtés piaffait le « héros de Oued Fodda ». Il me fit raconter en détail notre mésaventure et bien sûr le capitaine contesta, affirmant qu’il avait fait fuir « les assaillants » et il crût bon d’ajouter qu’il donnait sa parole d’officier ! GRACIEUX un petit sourire en coin me demanda : « qu’est-ce que t’en penses Brun » et moi comme un ballot j’en rajoutais une couche en affirmant que les choses s’étaient passées comme je les avait décrites et que moi je lui donnais « ma parole de français moyen ». Le Gégène me parut atterré et il me congédia en se retenant pour ne pas pouffer. Dès le départ du glorieux capitaine, GOIRAN vint me voir dans mon bureau et, bien embêté me dit que le Général aimerait bien que je revois mon jugement. En effet, l’objet de mon ressentiment allait bientôt partir en retraite, on m’expliqua qu’il avait reçu la médaille militaire lorsqu’il était sous-off, mais que depuis aucune barrette n’était venue orner son blouson si ce n’est des commémoratives . Alors, comme c’était un brave type ce serait bien qu’il parte avec au moins la CVM. Moi aussi je suis un brave type alors j’ai pu dire que je n’avais pas vu grand chose du fameux accrochage. GOIRAN était bien content et il a pu effacer le « N » écrit au crayon. En partant le soir, GRACIEUX en passant devant mon bureau me déclara avec un large sourire « T’es drôlement gonflé Brun, le coup de la parole d’un français moyen on ne me l’avait jamais fait »
J’ai méchamment payé mon coup d’éclat. Quelques temps après, alors que nous étions en voiture le Général me fit remarquer que mon insigne de manche était vierge de tout galon. Je devais avoir 25 mois de présence sous les drapeaux. Il demanda au capitaine HEUX de voir avec le colonel GOIRAN pour qu’il fasse une demande de « BRIGADIER-CHEF » au moins, afin que j’ai une chance d’obtenir les galons de « BRIGADIER » auprès du capitaine P…., le Commandant de la 59ème Compagnie de QG dont je dépendais. Merci mon Général, mais P…. était un grand copain de mon acolyte en embuscade ! La réponse ne tarda pas à arriver : les effectifs de la compagnie en Brigadiers et Brigadiers-Chefs étaient plus que complets, il n’était donc pas possible, avec regrets, de donner une suite favorable à la demande, mais le 2ème classe BRUN sera nommé prochainement à l’emploi de 1ère classe. Je pus donc coudre mon galon rouge à compter du 1er Mars 1959 soit à 1 mois et 3 semaines de la « quille » ! Ce n’était pas très glorieux !
Je n’avais jamais rien fait auparavant pour tenter d’échapper à ma condition de 2ème classe. J’aurais pu tenter la démarche, j’aurais gagné trois sous de plus, mais il arrivait très souvent de voir des galonnés tout frais se retrouver sur un « piton » dans le très peu accueillant massif de l’OUARSENIS. Les bidasses du TRAIN étaient particulièrement visés, parce que soupçonnés d’être pistonnés (parfois à juste raison !), et très vite, la sympathique fente verte de leur calot se retrouvait transformée en rouge de l’INFANTERIE. J’étais trop bien là où j’étais et je ne voulais en aucun cas prendre de risques.
Puisque j’évoque les sous je vais rafraîchir des mémoires en rappelant quelques chiffres.
Tous les 15 du mois nous touchions 535 francs soit en pouvoir d’achat équivalent en 2005 : 8 euros
A la fin du mois nous recevions 5200 francs soit : 78 euros
Un paquet de cigarettes « TROUPE » coûtait 20 francs soit : 0euros30, elles n’étaient pas chères mais elles n’étaient pas bonnes non plus. On s’offrait un extra de temps en temps avec un paquet de BASTOS (27 cigarettes par paquet) à 84 francs (1euros 25)
Par manque de prudence, par négligence, par bêtise surtout je me suis fait voler dans les vestiaires de la piscine de Oued Fodda la bagatelle de 10.000 francs (150 euros) : ce fut une catastrophe : cela représentait deux mois de paye !Le sommeil fut long à venir et le moral était bien bas. C’était le 26 juillet et ô miracle le 28 juillet je recevais de mon employeur « les vins KIRAVI » un mandat de ……….10.000 francs ! Le moral revenait au beau fixe, mais il n’empêche que j’ai pensé pendant longtemps au magot que j’aurais pu serrer dans ma bourse si une racaille ne m’avait dévalisé.
Il fallait débourser entre 45 et 50 francs (60 à 70 centimes d’euros) pour siroter une bouteille de bière, d’orangina ou de riclès.
Les distractions à Orléansville n’étaient pas nombreuses, il y avait un cinéma en ville et nous avions parfois des projections dans la caserne, toutefois de temps en temps notre grande sortie, c’était un petit restaurant situé dans les faubourgs « Chez mamie ». C’était le rendez-vous des bidasses en goguette, la patronne était sympa, la serveuse aussi et l’assiette certes modeste (Œuf sur le plat, jambon, frites et une orange délicieuse) nous changeait de l’ordinaire et ça sentait bon le civil : cela nous coûtait 350 francs (5euros25).
Notre grand plaisir était de nous installer à la terrasse de la « Rotonde » qui restait ouverte jusqu’à 21 heures en période normale et 22 heures pendant le ramadan. Nous en avons siroté des « orangina citron » en refaisant le monde !
A Noël les Orléansvillois ou plutôt quelques Orléansvillois avaient la gentillesse d’inviter à leur table un ou deux soldats. Moi, je n’ai pas eu cette chance mais grâce à Madame Guille j’ai hérité avec ses deux secrétaires (DUCHESNE et FAVRE) d’un BON pour dîner au célèbre hôtel BAUDOIN tout neuf car il fut entièrement détruit par le tremblement de terre de 1954 : ce fut très agréable, c’était mon premier contact avec un grand hôtel. Il y avait ce jour là un jeune chanteur : Charles AZNAVOUR !
Le dimanche notre active assistante sociale s’ingéniait pour nous trouver une activité ou une ballade, celle que nous préférions, et de loin, était nos escapades à TENES pour faire trempette dans la grande bleue.
Le colonel CECCALDI (« l’artilleur de KOUFRA ») et le débonnaire GOIRAN étaient de temps en temps du voyage. HEUX ne devait pas aimer l’eau car je ne me souviens pas qu’il fit partie du groupe. Si nous partions le matin le cuistot nous préparait un repas froid digne des meilleurs traiteurs : c’était de grands moments conviviaux faits de grande rigolade et je réalise maintenant combien ces officiers qui avaient fait les 400 coups savaient aussi se montrer très sympas avec la « troupe ».
Les choses auraient pu très mal tournées lors d’un après midi baigné de toute la lumière d’un soleil méditerranéen en pleine forme. Alors que vautré sur un matelas pneumatique et que je me laissais aller au gré des vaguelettes un tac-a-tac rageur et obstiné qui sortait tout droit des entrailles d’une 12,7 me fit chavirer. Sortant la tête de l’eau, je pus voir les impacts qui soulevait le sable de la plage, effaré mais sain et sauf, j’ai pensé que nous allions relever des blessés ou des tués. Un grand silence succéda au vacarme, je sortis de l’eau pour rejoindre les deux copains, ce jour là nous n’avions pas « d’accompagnateurs ». Miracle personne sur la plage n’avait été atteints. Très vite les jeeps et les half-tracks du 22ème RI s’étaient mis en route pour poursuivre les zigotos qui s’étaient installés sur la colline qui surplombe la plage. Nous aussi très vite nous ramassâmes nos petites affaires pour déguerpir. Nos baignades à TENES n’eurent plus jamais les mêmes saveurs, à partir de ce jour nous surveillions de très près les environs ! Au retour ce fut une halte réparatrice au II/2ème R.IMA au « Trois Palmiers » (3 ou 5 ?) dont dépendait Loulou LERAY
Tous les prétextes étaient bons pour prendre une voiture et effectuer les trois heures de route qui nous séparaient de la « capitale ». Soit le Colonel GOIRAN me chargeait d’aller récupérer un billet d’avion (pour sa cousine !?) , soit le Bachaga BOUALEM nous demandait de livrer un sanglier ou d’autres gibiers chez SALAN ou chez ALLARD etc.. etc…Ces livraisons étaient toutefois toujours accompagnés d’un motif sérieux et officiel. Nous nous dépêchions de rentrer le soir pour ne pas nous trouver en pleine nuit dans la traversée du Col du KANTEK. Lorsque nous rentrions d’ALGER avec le Général, il y avait un cérémonial auquel nous nous prêtions bien volontiers. A la sortie d’ AFFREVILLE les gendarmes, prévenus de notre passage, nous arrêtaient et imposaient au général, qui était comme toujours au volant, une escorte de halfs tracks : deux devant, et deux derrière la 403. Il acceptait cette disposition que je jugeais plutôt rassurante et qui me plaisait bien, mais au bout de 2 ou 3 kms lassé par la lenteur des engins, il doublait l’escorte au grand désespoir de la maréchaussée ! C’est ce moment que choisissait le capitaine HEUX pour sortir de la boite à gants un révolver à barillet, DORCHNER armait sa MAT 49 et moi le 9 mm qui ne me quittait pas pendant nos escapades. Le Général se tournait vers nous et avec un large sourire nous gratifiait d’un « Bande de trouillards ».
Il y avait une réelle complicité entre le Général, Pierre HEUX, Madame GUILLE et moi. J’avais su mettre à profit le désintérêt du Sous-Chef du Secrétariat pour son boulot : il arrivait à 11 heures repartait à midi et l’après midi il faisait rarement surface avant 16 heures ! Il avait fait venir sa femme et ses deux enfants et trouvait normal de leur consacrer beaucoup de temps. Quant au Chef, l’adjudant-chef de l’ABC, il s’était transformé en planton à la « Maison du Général » loin du tumulte. Si bien que doucement mais sûrement j’avais réussi à me rendre indispensable, il faut croire aussi que je devais leur être sympathique.
HEUX, qui n’était pas vraiment un homme de bureau se pointa un beau soir avec trois gros parapheurs sous le bras, je les reconnus, c’étaient ceux que j’avais préparés pour la signature par ampliation des ordres généraux de décorations ou témoignages de satisfaction . Après les avoir déposés sur ma table il me dit, sans rire, que sa signature était très facile à imiter et que je pouvais très bien lui rendre le service de signer à sa place tous ces diplômes parce qu’il avait autre chose de plus important à faire : il y en avait une centaine ! Il a bien fallu que je m’y colle, le capitaine y a pris goût puisque et c’est sans vergogne qu’il m’amenait tous les 15 jours environ mon lot de signatures. J’étais devenu un « faussaire » officiel !
Alors que le général était en opération quelque part dans les Monts de l’Ouarsenis, je vis débarquer dans mon bureau les colonels GOIRAN, MOREL et MARQUEZ . C’est ce dernier qui m’interpella : « Il paraît BRUN que vous imitez très bien les signatures » J’étais inquiet, où voulait-il en venir ? Il y avait un document très urgent à signer par GRACIEUX destiné au Général SALAN. A l’époque nous n’avions pas les moyen de transmission dont le XXIème siècle est riche et c’est GRACIEUX lui-même qui leur a dit par radio « Faites le signer à BRUN c’est un as de la falsification ! » Je n’étais pas vraiment à l’aise car si la signature de HEUX était très facile à imiter, celle du patron c’était autre chose. Ces messieurs ont mis une feuille blanche sous mon nez pour que je m’entraîne, j’étais gêné car au lieu de me laisser tout seul ils m’entouraient et observaient mes essais d’un oeil critique. Au bout d’une dizaine de signatures, MARQUEZ, qui devait en avoir assez déclara « Ca y est vous êtes au point » et je me suis exécuté en m’appliquant. Je n’étais pas trop mécontent de mon œuvre, les autres non plus, ils avaient l’air ravi, ils partirent à toute allure avec le précieux papier serré dans un parapheur . Et moi je suis allé boire une bière, sans savoir ce que j’avais signé, j’avais eu chaud !
Fin Avril début Mai quelques manifs secouèrent (pas très fort) quelques villes et quelques endroits du bled, laissant présager un mouvement de grande envergure. J’emprunte au Colonel TRINQUIER son analyse sur le pourquoi des évènements du 13 mai :
« La menace d’abandon de l Algérie par un gouvernement usé et sans volonté a provoqué un violent sursaut populaire. L’imminence du danger a réveillé les énergies des hommes les plus menacés. Le peuple algérien a entraîné son armée qui s’est révolté contre l’Etat. L’ensemble du peuple français, lassé d’un système qui ne correspondait plus à rien, a finalement suivi. »
Très tôt le matin du 16 Mai la 403 filait sur Alger. A l’arrière il y avait DORCHNER, le chauffeur, et moi, à l’avant le capitaine de LESTANG (Pierre HEUX disparaissait de temps en temps) et au volant, comme d’habitude, le général. Dans la malle la dépouille d’un sanglier offert par le bachaga BOUALEM au général ALLARD laissait dégager un léger fumet ! Dans une autre voiture suivait le Colonel MOREL et je ne sais plus qui. DUPERRE, les lacets du Col du KANTEK, AFFREVILLE, EL AFFROUN furent franchis à toute allure. Cette fois il n’était pas question de halte casse-croûte, tout juste un arrêt pipi permettant d’arriver l’esprit clair et la vessie dégagée à la caserne Pélissier siège du Corps d’Armée. Pendant que Jean GRACIEUX et le capitaine disparaissaient dans les bureaux, nous nous appliquâmes avec DOCHNER à décharger notre bestiole dans les cuisines. Alors que nous avions terminé notre « mission sanglier » et que nous nous apprêtions à rejoindre le parking des voitures officielles pour récupérer nos passagers nous les vîmes installés dans une 403 arborant les 4 étoiles du général ALLARD traverser la cour à toute allure.......
A suivre
Michel BRUN michelgamay@orange.fr