CHEF DE SAS A FRANCIS GARNIER
Extrait des souvenirs d'Algérie par le Commandant
Edouard de MONTALEMBERT
Saint-cyrien de la Promo 39/40, officier des troupes de Marine, le Commandant de MONTALEMBERT a d'abord "supervisé" les S.A.S de la commune Mixte d'Aumale, puis commandé les S.A.S de Francis Garnier et d'Hanoteau dans le secteur d'Orléansville et de Ténès.
Séjour à FRANCIS GARNIER
J'ai gardé de ce séjour à FRANCIS GARNIER un souvenir merveilleux : imaginez au bord de la mer, une crique de sable et de galets, au devant une mer bleue et chaude, à l'arrière, un terrain qui monte légèrement vers des collines dénudées certes mais parsemées de buissons odoriférants, et au loin d'âpres montagnes couvertes d'un épais manteau de chênes lièges. Tout est légende dans ce pays ; en creusant un abri sur une hauteur, des militaires sont tombés sur un ancien temple romain, une colonne en pierre, a jailli du sol, une pièce de monnaie romaine m'a été offerte, que je garde en souvenir. Echouée sur la plage découverte à marée basse, une grande ancre de bateau gît au milieu des galets, l'épave est à quelques encablures du bord de mer, c'est un très vieux navire de guerre dont on retire encore quelques canons : on en connaît l'histoire, ce navire transportait au début du XIX° siècle, des immigrés se rendant au Sénégal. Parmi les passagers, se trouvaient des religieuses hollandaises et leur mère supérieure qui ont été probablement sauvées par la population locale. Que sont-elles devenues ? L'histoire est maintenant muette ; pourquoi y a-t-il tant de blonds aux yeux bleus ? Pourquoi y a-t-il sur une hauteur (près du temple romain) le tombeau si vénéré de la "marabouta" ? Quand un habitant déclare sa bonne foi, il s'écrit encore "je te le jure par la marabouta" (ach'arabi marabouta") ; c'est troublant : ce tombeau est celui de la mère supérieure vénérée pour ses bienfaits? Me voilà donc plongé sur le terrain, ce que j'aime par-dessus tout, mais revenons en arrière.
Après ma permission en métropole, je prends à nouveau l'avion pour ALGER (27/05/57). Je suis fouillé à l'arrivée, ma tête ne leur revenait pas, trop hâlée par le soleil d'Afrique pour un métropolitain ! Je retrouve mon ami T. dans son bar préféré : il me fait part de la situation : recrudescence du terrorisme, mais pas aussi violent qu'en février, gros combats près de Médéa et à la frontière de Tunisie, les bandes se regroupent et sont plus facilement détruites, mon impression : ce sera long mais cela tournera en notre faveur. Ce qui est nouveau ; les SAS travaillent avec l'Armée : le bâton et la carotte ! Dans le bled, l'autorité civile n'existe que pour distribuer des crédits.
Je prends le train pour Orléansville, je trouve une ville en ruine comme après un bombardement, c'est le résultat du tremblement de terre de 1955 ; les rues sont bordées de baraques ou d'amoncellement de pierres, les gros immeubles sont lézardés. Je vois mon supérieur : le Colonel Mirabeau ; je suis affecté à Francis Garnier sur la côte à 45 km à l'est de Ténès. Le village est très coquet, tout neuf (le tremblement de terre), des villas de colons Européens au milieu d'une population Berbère, un café, une petite église, un foyer rural. A trois kilomètres à l'est, se situe le débouché du téléphérique transportant le minerai de fer de la mine de Breira : un promontoire rocheux prolongé d'un quai en eau profonde pour l'accostage des bateaux minéraliers. Je dépends du Sous Préfet de Ténès, les militaires appartiennent au 22ème R.I. Colonel Rieutord ; une compagnie se trouve à Francis Garnier, Capitaine de réserve Ychard ; une autre à Breira, Capitaine de réserve Mercier qui me remplacera plus tard à la SAS. Je suis tout de suite dans le bain, car une fraction vient de se rallier (une fraction est une subdivision du douar qui est un groupement territorial administré par un caïd. Nous avons désigné des responsables, distribué des armes, organisé une chaîne de guetteurs en cas d'attaque du FLN. Pour situer et décrire notre action, rien de mieux que des extraits de lettres heureusement conservées.
5 juin 1957 : Dans ce milieu de rudes soldats, rudes paysans rusés et hâbleurs, poussés à l'extrême par suite de circonstances, violences ou découragement, il s'agit pour un chef de garder son bon sens, son courage et son sang froid. Dans la fraction "Souhalia", ralliée récemment, dont les journaux ont parlé, 4 fellaghas se sont présentés, l'un a été attrapé et a dénoncé une cache d'armes que l'Armée a saisi : 23 fusils de chasse, 5 pistolets ; la confiance commence donc à revenir. Hier j'ai visité avec le Chef de Bataillon, les mines de Breira situées à 10 km. dans la montagne. Nous sommes partis en convoi, le pays est rallié à nous ; il y a là-haut, le service d'exploitation et tous les ouvriers de la mine ; la Compagnie Mercier y fait un travail de protection et de pacification très profitable notamment la section du Lieutenant Pêne que j'ai bien connu à Hanoteau par la suite ; il sera tué en combattant près d'In Salah en 1960.
9 juin 1957 : Le fragile ralliement des Souhalia semble un résultat à condition que les rebelles ne viennent pas massacrer les habitants ; déjà deux fois, ils ont été signalés et chassés par les militaires, depuis jeudi, ils ne sont pas revenus, les habitants ne couchent plus dans les maisons mais dans les champs. Ce matin, j'ai reçu tous les chefs de Fraction des Béni Haoua qui ressortent de ma SAS et mercredi il y aura une grande fête de ralliement à la mine de Breira avec la présence du Préfet et du Général. On fondera un dispensaire et une école qu'il faudra installer en trois jours, il y aura couscous et méchoui ; les principaux artisans de ce ralliement spectaculaire sont l'Armée d'abord, le chef de la mine ensuite ; Mr Roumestant qui fournit du travail à trois cents ouvriers et un ancien notable musulman qu'on a sorti de prison, qui s'est rallié, à qui on a dû passer de la pommade et qui a de l'influence sur les braves paysans ; cela ne m'étonnerait pas qu'il soit un commissaire politique clandestin. Ainsi on joue avec le feu : cela s'appelle de la propagande psychologique ! La population ici n'est pas arabe mais berbère, ce sont des blonds cendrés aux yeux bleus ou des rouquins, ils devaient être nos ancêtres du temps des barbares, mais ils sont restés tels : le dernier qui a parlé a raison, le plus fort est le chef, en ce moment ils hésitent entre nous et les rebelles.
14 juin 1957. Ce matin j'ai rayonné autour de Francis Garnier, avec mes Goumiers, le docteur et deux assistantes médico-sociales détachées à la SAS (l'une française l'autre musulmane), un paysan m'a dit "tu es pour moi comme mon père et tant que tu seras là, nous aurons confiance". Hier visite du Préfet Chevrier et du Général Renault aux mines de fer : présentation des troupes, inauguration de l'école et du dispensaire, j'étais à la cérémonie, elle était mal organisée.
23 juin 1957. Avec un officier du service psychologique et le Capitaine Portman (fils du sénateur de la Gironde) nous avons visité une Fraction pour y recruter des supplétifs et inaugurer un nouveau marché ; c'est du travail à la Lyautey !
25 juin 1957. Je viens de faire en auto tout un périple, par Breira, Souk hamelil, Carnot, les Attafs (là où réside le Bachagha Boualème) puis Orléansville enfin retour par Ténès. Demain je m'occupe du budget d'une future commune dont je serai le gérant.
30 juin 1957. Vendredi très calme ; travail au bureau de la SAS, puis bain à la plage. Samedi, montée à Breira à 18 km, tournée au marché, visite à la Compagnie du Génie à Oued Damous pour voir les travaux de piste, déjeuner avec les Officiers, nous nous régalons de langoustes fraîches péchées à Francis Garnier. Je vois le Capitaine Mercier qui me remplacera à la SAS prochainement. Dans la matinée j'avais reçu trois responsables de la Fraction des Souhalia ralliée ; qui défendent les habitants avec seulement trois fusils de chasse, c'est une pitié ! mais l'armée s'oppose parfois à la formation de groupes d'Autodéfense et livre ainsi ces pauvres gens à la vengeance des Fellaghas, j'ai dit pour les rassurer que l'Armée interviendrait immédiatement en cas d'incident ; deux hommes avaient été égorgés dans le voisinage, quelques jours avant, les Fellaghas étaient descendus de la montagne chez eux et avaient incendié une maison avec la famille à l'intérieur, les parents furent brûlés vifs, les enfants furent recueillis à la SAS et confiés ensuite à un ménage sans enfant.
8 juillet 1957. J'ai fais une grande tournée SAS avec les militaires : réveillés à 5 heures du matin, nous avons marché jusqu'à 11 heures, puis déjeuné sous un chêne vert à 600 mètres d'altitude avec vue sur la mer dans le lointain et tout un paysage montagneux et rocailleux aux alentours, l'après midi, un grand rassemblement de la Fraction pour qu'elle se prononce sur leur future commune de rattachement. J'ai discuté longuement avec les jeunes gens et les vieux barbus. Le soir nous avons dîné toujours sous notre chêne d'un couscous offert par la population, puis nous nous sommes endormis à la belle étoile ; le lendemain après deux heures de marche, même réunion dans une autre Fraction, puis au retour, arrêt au gourbi de mon Goumier qui était fier de me montrer à sa famille : sa maison semblait un trou dans le sol recouvert d'un épais manteau de paille et de sable ; on comprend que lors du tremblement de terre de 1955, tant de familles du bled soient mortes étouffées par l'éboulement de leurs maisons ! Le lendemain dimanche : grosse journée, car c'est le marché : les hauts parleurs du service psychologique étaient installés ; j'ai fait parler des notables au micro, ils ont beaucoup appuyé sur la France, le retour à la paix, les mérites du Capitaine de la SAS (sic). Ensuite, réception à mon bureau : le Caïd, le Garde-champêtre, un ancien Fellagha rallié, une chikaya pour des orphelines dont les oncles se disputent la garde pour une histoire d'héritage. Telle est la vie habituelle dans la SAS de Francis Garnier. Ce même jour un évènement pénible et révélateur de l'état d'esprit qui régnait ici, s'est produit : quatre Fellaghas notoires sous mandat d'arrêt à Ténès ont été relâchés faute de preuves de culpabilité et sont revenus à Francis Garnier. Aussitôt la rumeur a couru que le FLN pouvait avoir des appuis des autorités civiles ; l'Armée, responsable du maintien de l'ordre, semblait bafouée. Ces Messieurs, forts de leur impunité, le faisaient savoir partout. Avec le concours de la Gendarmerie, j'ai aussitôt envoyé un message radio au Sous Préfet, lui demandant leur expulsion de la commune. A 15 heures, il répond en ordonnant leur arrestation immédiate. Ils ont pu être arrêtés à nouveau et dirigés à Ténès sous escorte militaire. Cette mesure a calmé les esprits, car la crainte de notre faiblesse disparaissait pour les uns, la crainte de notre force apparaissait pour les autres. La leçon de cet incident, c'est qu'en période insurrectionnelle, il faut répondre par des moyens adaptés et exceptionnels car la justice du temps de paix est sans cesse bafouée, les témoins d'un crime sont assassinés ou menacés de l'être ; donc cette justice est inopérante et démontre notre faiblesse face au désordre.
10 juillet 1957. Hier j'ai assisté à l'enterrement de six hommes de ma Fraction ralliée qui se sont aventurés trop loin dans la montagne et ont été égorgés par les Fellaghas. Mais il fallait voir aussi l'indignation de la fraction et le désir de venger leurs frères. Aujourd'hui je suis retourné à nouveau chez eux avec l'armée et l'assistance médicale pour soigner les malades, réunir les notables, discuter des mesures à prendre ; cela fait plaisir de voir les enfants nous saluer avec des sourires, les femmes présenter leurs nourrissons à la visite, les hommes nous serrer la main ; on sent renaître la vie et la confiance malgré le danger ; ce travail que nous avons obtenu, tous en collaboration, la SAS, l'Armée et le service psychologique est vraiment réconfortant. Nous vivons comme des frères avec les Musulmans, partageant leur repas au milieu de leurs gosses et de leurs femmes et discutant des bandits et des sauvages de la montagne. Si vraiment ceux qui parlent d'indépendance de l'Algérie nous voyaient, ils se mordraient les doigts d'avancer de pareilles stupidités.
12 juillet 1957. L'Algérie n'est pas perdue comme le pensent certains Français ; bien au contraire, tous les Musulmans marchent avec nous ; ils parlent de choses terribles pour chasser les rebelles : brûler les forêts, empoisonner les sources, vider les silos à grains des Fellaghas, tous les appellent des bandits, ils disent que ce n'est pas digne d'un Musulman d'égorger des gens comme des chèvres ; bref ils sont pour nous à fond. Mais cet impitoyable banditisme durera encore longtemps malheureusement car il faut les traquer comme des sangliers.
13 juillet 1957. Aux Souhalia, l'armée avec la population est passée aux actes en se rendant en terrain ennemi, tout le bétail volé a été repris, le feu a été mis aux récoltes, de sorte que les Fellaghas n'auront plus rien à manger.
14 juillet 1957. J'ai dîné la veille de ce jour avec les notabilités de Francis Garnier : le directeur de le mine de Breira : Mr Roumestan en famille avec trois petits garçons, Mr Père, gendre de Mr Bortolotti, gros colon du coin, le Maire de Ténès et Vice Président de l'Assemblée Algérienne, enfin le Capitaine Mercier et son épouse. Ce jour glorieux a commencé par une prise d'armes et un défilé, moi en tête avec mes Goumiers derrière, l'Unité Territoriale ensuite (c'est-à-dire tous les habitants chargés de la défense et capable de porter un fusil) enfin, une section de l'Armée ; je me suis tapé un beau discours sur la place en présence d'une foule nombreuse, puis levée des couleurs, apéritif, couscous des anciens combattants (cent convives). C'était très réussi et très Franco-Musulman. Il y a certainement une large détente mais tout n'est pas réglé, en tout cas un large parti Musulman est pour nous. J'ai beaucoup de côte sur la population tant européenne que musulmane, je le dis sans me vanter et cela m'embête de céder la place à Mercier, mais on n'est pas irremplaçable.
19 juillet 1957. J'ai été hier dans le second douar de la SAS, là où se trouvent les mines de fer de Breira. Nous y avons une autre politique que celle appliquée aux Souhalia ; les hommes y sont des ouvriers travaillant dans la mine et la politique est pro Arabe comme le veulent les industriels ; on a donc gonflé un ancien nationaliste sorti de prison et teinté de fellaghanisme qui sera le futur maire de la commune à créer ; on lui passera tous les pouvoirs mais il sera inféodé à la mine qui le tiendra par son pouvoir d'embaucher ou de licencier ses administrés. Le pays est maintenant calme après la grande secousse des mois passés, mais on se méfie de l'eau qui dort. Un Arabe m'a confié : "ici, ce n'est pas une guerre, mais une maladie".
5août 1957. Nous sommes tous attristés par la mort du Capitaine Portman, tombé dans une embuscade en quittant Francis Garnier, c'est le fils du sénateur, il avait demandé à servir dans le service psychologique ; il organisait la pacification chez nous, il avait monté une école et une infirmerie à Breira, une autre école aux Souhalia ; j'ai déjeuné avec lui, on a parlé d'un nouveau village à créer pour les Souhalia et il m'a fait espérer des crédits ; nous nous sommes quittés à 15heures lui partant à Ténès sans escorte comme il en avait l'habitude, avec à son bord une jeune stagiaire parisienne et deux blessés civils à conduire à l'hôpital ; moi partant aux Souhalia pour des consultations médicales avec le docteur, l'infirmière et naturellement mon escorte de Harkis. Je me trouvais donc à quelque centaine de mètres du lieu du drame. Ce sont de très jeunes Fellaghas qui l'attendaient sur la route ; la jeune fille et les deux blessés ont eu la vie sauve, mais le Capitaine a été emmené dans les fourrés ; la jeune fille a été retrouvée sur la route par un détachement militaire qui passait ; l'alerte donnée, les militaires sont venus me retrouver, me priant de ramener cette personne ; je l'ai donc prise dans ma jeep ; elle était tout en larmes et ne m'a rien dit. Le lendemain le corps de Portman a été retrouvé ; il avait reçu une décharge dans la nuque.
7 août 1957. J'ai vu hier le petit frère du Père de Foucauld : Frère Louis, la communauté de ces petits frères se trouve dans la montagne du Bissa, c'est un massif forestier que l'on voit au loin sur les crêtes, on les appelle aussi "Petits Frères du Bissa" et ils vivent au milieu des Fellaghas. Frère Louis me tient des propos ahurissants : il dit qu'il ne fait plus confiance aux officiers de l'Armée Française sauf quelques uns : trop de vol, d'assassinats et de tortures qu'ils ont laissé accomplir ! Le Général de Bollardière à bien fait d'écrire sa lettre (contre la torture justement). Il est douteux que la France représente l'ordre et la justice pour l'Algérie ; l'Armée de la libération (FLN) a autant de droits de diriger la destinée de ce peuple. Nous sommes neutre dans ce conflit, nous sommes chrétiens avant tout et faisons abstraction de notre qualité de Français ; la population qui nous entoure n'est pas rebelle. C'est triste de constater tant d'aberrations avec tant de bonne volonté ; ils n'ont disent-ils, aucun contact avec le FLN et doivent partir sur le champ, sur ordre de l'Archevêque, s'ils doivent prendre parti dans un camp. Ce n'est pas la première fois que je vois ces petits frères. Dès mon arrivée à Francis Garnier eu juin dernier, j'ai servi la messe un dimanche, le Frère Louis officiait et j'étais le seul assistant. J'ai su alors que beaucoup d'Européens les considèrent comme des Fellaghas sans pouvoir les comprendre. Un jour à Ténès, le Père curé qui s'appelle "de Vienne", ancien officier de la Légion, m'a demandé si les petits frères du Bissa tenaient bien le coup car il était chargé de renseigner son Evêque.
14 août 1957. Le petit Frère Pierre qui était à El Abiod autrefois, est descendu du Bissa aux Souhalia sur un mulet pour réclamer les femmes de plusieurs Fellaghas que l'Armée avait obligé à descendre ici afin que leurs maris se décident à se rallier. La population le regarda de travers et lorsque les notables ont apporté le couscous, il n'a pas été invité ; on lui a seulement donné un peu d'eau ; c'était un peu désagréable de voir ce petit Français Vendéen, objet de scandale et de réprobation et soupçonné d'espionnage par cette population locale.
21 août 1957. Lundi sont venus à mon bureau, trois petits Frères de Foucauld : un ancien, Frère Pierre et deux nouveaux venus en inspection dont le Frère Milad, adjoint du Frère Vuillaume ; Frère Milad, est intelligent et sympathique ; on a parlé à cœur ouvert du rôle de l'Armée, de la SAS, du rapprochement des esprits, de la mission périlleuse des Frères chez les Fellaghas (ils se défendent d'être au milieu des Fellaghas) ; ils sont sympathiques, mais on hésite à leur parler de la mission de la France puisqu'ils sont en dehors du coup.
28 août 1957. A la sortie de la messe à Ténès, j'ai été invité au petit déjeuner du père curé, il y avait l'aumônier du régiment et d'autres encore : tout ce milieu est de tendance autonomie Arabe et peuples de couleur en opposition avec la traditionnelle politique Française ; ils n'étaient pas contents du ralliement des Souhalia ,le village que je crée actuellement ; ils disent "ils se sont ralliés par peur, ce n'est pas sincère, l'Armée leur a permis de piller leurs voisins". Je leur ai dit que ce n'était pas vrai, que c'étaient les autres qui avaient brûlé leurs maisons. On m'a lu un article de "la Croix" de Monseigneur Feltin disant qu'il ne fallait pas faire du sentimentalisme désuet. Bref le monde religieux s'oriente en France sur autre chose que les valeurs traditionnelles de la France que nous avons dans le sang. C'est désagréable car on lutte seul. Espérons que cette tendance s'atténuera et que l'église redeviendra Française !
30 août 1957. Je suis à la veille de partir pour Flatters, mon nouveau poste provisoire ; c'est au sud de Francis Garnier, au-delà du massif forestier du Bissa à 30 kilomètres à vol d'oiseau. Ce n'est pas sur la côte, mais tant pis, je regretterai la pêche sous marine qui était ma distraction favorite dans les moments de détente ; je regretterai aussi la population si attachante de ce lieu enchanteur de Francis Garnier avec en toile de fond tous ces évènements dramatiques que j'ai partagé de tout mon cœur avec eux.
A suivre dans l'article "Chef de SAS à Hanoteau"
Photos de la collection de Paul ANTIKOW