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4 août 2009 2 04 /08 /août /2009 18:20

                   AFFECTÉ AU 22ème  RI

1ère Partie 

 

PREAMBULE

 

 

 

  NB : Seuls les historiens, les journalistes ou ceux qui veulent écrire un jour leurs mémoires prennent la précaution de noter soigneusement tous les faits qui les concernent. Ce n'était pas mon cas. D'ailleurs, je n'ai jamais envisagé d'écrire quoi que ce soit sur le vécu de « ma » guerre d'Algérie. Mais quand j'ai découvert le blog créé par Michel pour le 22ème  RI, cela m'a semblé une excellente initiative, bien conçue et parfaitement réalisée. Aussi, après avoir pris contact avec lui, je me suis engagé à lui apporter de la matière pour enrichir son blog autant que  possible.

 

Malheureusement, je n'ai la mémoire ni des noms, ni des dates et pas toujours des visages, surtout un demi-siècle plus tard. Aussi, je vous prie de bien vouloir excuser mes oublis. Par contre j'ai la mémoire des faits ce qui me permet de me remémorer des événements qui m'ont marqué. Mais, comme par l'intermédiaire de Michel j'ai retrouvé Georges MARTINEAU, le radio qui a crapahuté avec moi pendant presque tout mon séjour à Bou ZEROU, je compte sur lui pour pallier mes défaillances.

 

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Je me présente, Jean-Claude PICOLET, né le 8 juillet 1937 à CLAMECY dans la NIEVRE. Monté à PARIS avec un bac « Math Elem » en poche, j'ai finalement été embauché par la BNCI en tant que rédacteur. Désireux d'obtenir un diplôme professionnel avant mon service militaire, j'avais sollicité et obtenu un sursis. Pour le conforter, je me suis inscrit pour des études en sciences économiques qui à l'époque dépendaient de la fac de… Droit. Par ailleurs, j'ai suivi les cours de la PMS, dans les fossés de VINCENNES.

 

Mes objectifs atteints, j'ai résilié mon sursis et été appelé sous les drapeaux début mars La-nouvelle--cole.jpg1960. Affecté à l'EMI de CHERCHELL en tant qu' EOR, j'ai pris le train à DECIZE, lieu de résidence de ma belle-famille, pour LAROCHE-MIGENNES, point de regroupement. J'ai été accueilli dans une caserne qui était une caricature de l'Armée. Bâtiments vétustes, délabrés; mobilier en fin de vie; soldats bornés, condescendants. Les « appelés » étaient, semble-t-il, tout comme moi, des individus incorporés directement dans des unités en ALGERIE. Une faune braillarde, grossière, vraisemblablement pour évacuer la peur qui les tenaillait.

 

Bien que hors sujet, je ne peux m'empêcher de raconter deux anecdotes qui m'ont conforté dans mon idée d'avoir voulu, avec la PMS, éviter un semestre en corps de troupe.

 

A mon arrivée, j'ai reçu un paquetage réduit pour le voyage. La tenue, une défroque aux origines incertaines mais ne pouvant remonter à la Grande Guerre puisqu'elle n'était pas de couleur bleue. Et, de surcroît, sale. Mais moins que la chemise qui présentait sur son col une bande noire, épaisse, ce qui m'a valu d'arriver à CHERCHELL le cou couvert de boutons. Ingénument peut-être, afin d'obtenir du linge moins sale, j'ai attiré l'attention des trouffions sur mon cas. Je vous laisse imaginer leur réponse. J'ose espérer qu’à CHERCHELL, toutes ces hardes ont été brûlées.

 

Evidemment, bien que mon séjour ait été bref, j'ai été désigné pour une corvée. Le nettoyage du réfectoire après un repas. Les tables, le sol étaient couverts de détritus. Tout a été déblayé vigoureusement avec les mêmes balais. Ceux-là même qui servaient aussi pour l'entretien de locaux encore moins ragoûtants…

 

EL_DJEZAIR.jpgLa traversée de la Méditerranée, 24 heures à bord du El Djezaïr, à fond de cale, avec des conditions d'hygiène inimaginables, m'a aussi laissé un souvenir impérissable.  En arrivant à l'EMI, j'ai cru avoir gagné le Paradis.

 

J'en suis ressorti, cinq mois et demi plus tard, avec le grade de sous- lieutenant. Et, bien classé, avec la double affectation que je désirais : un retour en France en ADL au 93e RI à COURBEVOIE. Le rêve pour moi qui, service terminé, reprenais mon poste sur PARIS. Mais dans un premier temps, pour un an, il me fallait rejoindre le 22ème  RI, « le régiment le plus décoré à titre posthume », m'a glissé à l'oreille un des officiers qui surveillaient le tableau des affectations. Et, je l'ai su plus tard, à COURBEVOIE, il ne restait que la musique. Le 93 était cantonné sur le plateau de Frileuse, proche de BEYNE, au fin fond de ce qui n'était pas encore les YVELINES.

 

 

 

TÉNES-GOURAYA

 

Après avoir bénéficié, dans ma famille, comme tous les EOR, d'une permission « post-CHERCHELLIENNE », bien méritée à mon avis après tant d'efforts déployés pour gagner la « barrette », j'ai rejoint l'ALGERIE début septembre 1960. Je n'ai absolument aucun souvenir de ce voyage, sinon que j'ai pris le train pour TENES.

 

 Arrivé de bonne heure, je me suis installé dans un compartiment vide en 1ère  classe et j'ai attendu tranquillement le coup de sifflet du départ. Quelle ne fut pas ma surprise de voir entrer dans le compartiment, au tout dernier moment, un colonel en tenue accompagné de quelques officiers. Je me suis détendu comme un ressort et, au garde-à-vous, je me suis présenté. Tous m'ont dit bonjour. Je me suis rassis.

 

Le train commençait à rouler quand un adjudant, un Algérien, s'est encadré dans l'entrée du compartiment et, après s'être présenté, a demandé au colonel, la permission de déposer sa valise dans le filet juste au-dessus de lui. Ce qui lui fut accordé sans la moindre réticence. Je n'en revenais pas. Que faisait cet adjudant en 1ère ?  Pourquoi tenait-il à déposer sa valise dans ce compartiment ? Pourquoi l'avait-on autorisé sans lui poser la moindre question ? Cette valise m'intriguait, je n'arrivais pas à en détacher mes yeux. Cela m'inquiétait aussi, je ne le cache pas. A un moment, n'y tenant plus, je suis sorti dans le couloir et je l'ai parcouru en regardant les voyageurs dans chaque compartiment. Puis je suis passé dans le wagon précédent et je suis revenu à mon point de départ pour faire de même dans le wagon suivant. Aucune trace de l'adjudant.

 

Franchement, je commençais à paniquer. Puis je me suis dit que si le colonel n'avait pas bronché, ni aucun officier de sa suite, c'est qu'il n'y avait rien à craindre. J'ai donc regagné ma place et j'ai essayé de penser à autre chose. Un bon moment après, le train commençant à ralentir pour entrer dans une gare, l'adjudant est revenu pour récupérer sa valise. Il a remercié, a salué et est parti. Je n'ai jamais su, et ne saurai jamais le fin mot de l'histoire. Mais je ne l'ai jamais oubliée.

 

TENES-vers-1970.jpgArrivé à TENES, j'ai été reçu par le colonel commandant le régiment, très brièvement, presque entre deux portes. Je m'étais à peine présenté que je me suis entendu dire que j'étais affecté au 1er  bataillon  basé à GOURAYA, que le convoi à destination de cette ville partait dans quelques minutes et qu'il fallait que je me présente de toute urgence au capitaine qui commandait le convoi. Ce que j'ai fait en pensant que l'accueil était, malgré l'urgence, pas très chaleureux. C'est le moins que l'on puisse dire.

 

Le capitaine, quant à lui, m'a fort bien accueilli, sans trop de protocole. Je dirais même chaleureusement. Il m'a posé quelques questions personnelles puis, avec un léger sourire, m'a demandé, à brûle-pourpoint, si j'étais muni des derniers sacrements. J'ai dû le regarder avec un air ahuri car il a franchement souri. Alors il m'a expliqué que très souvent le convoi était l'objet d'un attentat, une embuscade ou une mine. Une fois un fil de fer avait été tendu en travers de la piste pour tenter de décapiter le chef du char en tête de colonne. Fort heureusement, celui-ci a vu le piège et s'est recroquevillé dans sa tourelle.

 

La route de GOURAYA, sur une bonne partie de son parcours, n'était en fait qu'une simple piste. Lors du tremblement de terre d'ORLEANSVILLE en septembre 1954, de nombreux glissements de terrain s'étaient produits et avaient abouti dans la mer. La voie avait été rouverte au bull mais on n'avait jamais poussé les travaux plus avant. Ce qui donnait un terrain propice à la pose de mines.

 

Mais l'artificier fellagha avait une spécialité. Ses mines n'explosaient pas à la première pression. Il en fallait plusieurs. Aussi les convois étaient composés, en alternance de véhicules militaires et civils. Il était donc difficile de viser un véhicule précis. Ce capitaine m'a expliqué que récemment, sur la piste partant vers l'ouest, en sens opposé, une mine avait explosé sous un véhicule civil et que le chauffeur avait été tué en perdant ses deux jambes. D'ailleurs la dangerosité du parcours était si grande que le convoi était Morane-500---5.jpgsurvolé en permanence par un Piper pendant une bonne partie du trajet.

 

L'heure de départ approchant, le capitaine m'a offert aimablement sa place dans le command-car positionné à peu près au milieu de la colonne. En ajoutant que cela ne lui poserai aucun problème car il allait voyager dans une jeep. Aussitôt installé, le convoi s'est ébranlé. les véhicules roulaient à une vitesse modérée pour éviter les à-coups, chaque chauffeur s'évertuant à conserver les distances imposées.

 

La route n'était effectivement qu'une piste bordée sur sa droite par la trace verticale des travaux de déblaiement réalisés, ce qui offrait une bonne protection. Il y avait peut-être une demi-heure que nous roulions quand des coups de feu ont éclaté. Le talus avait pratiquement disparu et le convoi s'en trouvait exposé. Nous roulions au bas d'un glacis qui montait régulièrement, en pente relativement douce jusqu'à un bois proche de la ligne de crête. C'est de là que provenaient les tirs. Quelques fusils selon toute vraisemblance et même pas automatiques puisque les coups étaient espacés. Comme  l'embuscade se situait à au moins 500 mètres de la piste, cela semblait presque irréel et ne pouvait provoquer aucune perte humaine. Ni aucune panique. Une simple manifestation de mauvaise humeur destinée à rappeler une présence. C'était pour moi le baptême du feu. Mais sans gloire.

 

Mais dans le convoi, la consigne était stricte, tant pour les civils que pour les militaires, en cas de coups de feu, quels qu'ils soient, par application du principe de précaution, le convoi devait accélérer au maximum. Ce qu'il fit. Un peu plus loin, hors de la zone de danger. le convoi stoppa, il fallait dresser le bilan de l'escarmouche. Résultat, contre toute attente, un mort. Un appelé, un chauffeur de jeep, assis sur le bord au-dessus d'une roue arrière pendant que l'officier qui l'accompagnait avait pris sa place au volant. Il a été déclaré que ce garçon avait pris peur en entendant les coups de feu et qu'il avait sauté en marche. Roulant à terre, il avait été écrasé par le camion, en pleine accélération, qui le suivait. Cela m'est apparu comme une « bonne » version officielle. Mais je me suis toujours demandé s'il n'avait pas tout simplement perdu l'équilibre par un brusque coup d'accélérateur. Quoiqu'il en soit, c'était une bien triste fin.

 

Le convoi a ensuite repris sa route et je suis arrivé à GOURAYA sans encombre. Je me suis alors présenté au chef de bataillon, le Commandant LEDOUX, qui m'a reçu fort aimablement. C'était un officier de réserve en situation d'activité. Un ancien de la Résistance qui avait intégré l'Armée lors de la campagne de France, avait servi en Indochine, avant de se retrouver en Algérie. Le contact a été excellent et l'est resté pendant toute la durée de mon séjour. En fin d'entretien, il m'a signifié mon affectation à la 1ère  compagnie cantonnée dans le djebel à BOU ZEROU. Mon départ était organisé pour le lendemain, un convoi de cette compagnie étant attendu.

 

J'étais dorénavant plongé « dans le bain ». Mais que d'émotions pour cette première journée !



    BOU ZEROU

 

 

À mon arrivée, la 1ère  compagnie du 1/22e RI était cantonnée à BOU ZEROU sur une ligne de crête à 10/11 km à vol d'oiseau au sud de Bois Sacré, aux portes de GOURAYA, où était installé le 1er  bataillon. Cette ligne de crête, orientée Est-Ouest, domine, l'oued ES SEBT sur sa rive gauche. Elle était précédemment basée à LOUDALOUZE et avait gagné son nouveau camp en septembre 1957.

 

Il a été construit, ex nihilo, sur un mamelon culminant à plus de 800 m tout à côté de la La-piste-de-BOU-ZEROU-a-TAZZEROUT-photo-piste TIGHRET -TAZZEROUT. Il se répartissait en quatre niveaux. Pratiquement au départ de la voie d'accès qui partait de la piste, avait été élevée une tour qui devait à l'origine être une défense avancée mais n'était plus utilisée. Au deuxième niveau se trouvait, en quelque sorte, la place d'armes entourée de bâtiments. A gauche de l'entrée, l'armurerie puis le dortoir des harkis. Face à l'entrée, le dortoir des appelés. A droite de l'entrée, un bâtiment dans lequel cohabitaient le poste de garde et l'infirmerie puis, à angle droit le foyer, enfin perpendiculairement à lui, les 2 bâtiments des cuisines et des réserves.

 

Au troisième niveau avaient été construits, en ligne, avec vue sur la « place d'armes », 4 bâtiments dont un pour les officiers et les autres pour les sous-officiers et le bureau. Il existait aussi quelques cahutes réparties entre ces deux niveaux. Et, tout en haut, une tour radio qui servait également de tour de garde. Tous les bâtiments étaient construits en dur. Et le tout était entouré de barbelés assurant, sauf au sommet, une protection illusoire. Et même inexistante à l'entrée du camp puisqu'elle était béante ne disposant même pas d'un cheval de frise. Avoir installé l'armurerie à cet emplacement trahissait un optimisme béat.

 

Le camp était alimentée en eau par une canalisation provenant d'une source proche   . Le camp disposait aussi de l'électricité produite par un groupe Le-camp-de-BOU-ZEROU-photo-J.C-PICOLET.jélectrogène installé… dans la tour d'entrée pour une question de nuisances sonores. En cas de panne, ce qui arrivait fréquemment, il ne restait que les bougies.

 

Sur le papier, l'effectif était annoncé à 120 hommes. C'était généreux. Mais ce qui n'était pas dit, c'est que les sections n'étaient composées que de harkis, hormis, se comptant sur les doigts d'une main, quelques appelés et engagés « indigènes ». L'encadrement était réduit à sa plus simple expression. Les appelés du contingent assuraient les services : les chauffeurs, cuisiniers, boulanger, foyer, radios ainsi que l'armurerie et le bureau. Ces appelés se retrouvaient rarement sur le terrain.

 

Quand je suis arrivé la compagnie ne comptait qu'un seul officier, un lieutenant, son commandant. Et seulement 4 sous-officiers d'active : un adjudant à la 1ère section
retranchée dans TIGHRET, un sergent-chef à la 3ème  et 2 sergents-chefs qui ensemble jouaient (mal) le rôle de l'adjudant de la compagnie. Provenant des « RIMA », ils étaient en fin de parcours et devaient noyer leur chagrin d'être restés à un si faible niveau hiérarchique. Mais, comme ils l'affirmaient eux-mêmes « on ne monte pas vite dans l'infanterie de marine ». Il valait mieux ne pas faire appel à eux passé 10h. Et, surtout, ne jamais les emmener en opération.

 

 

 LES HARKIS

 

Il semblerait qu'ils aient toujours été nombreux dans cette compagnie. Mais à ce point, on frisait l'overdose. D'autant qu'ils n'avaient pas leur propre encadrement. Quelques rares caporaux et un sergent qui, lui, ne sortait pas. Il assurait leur intendance à BOU ZEROU. En outre, ils étaient analphabètes et ne parlaient pas ou très mal le français à quelques exceptions près. C'était le résultat de leur répartition sur le territoire. Un habitat dispersé dans des zônes retirées avec une faible densité de population. Dans les villes l'enseignement était assuré, mais comment s'y rendre à des heures et des heures de marche. Et, dans ces endroits perdus, où construire une école? Si loin de tout,qui aurait accepté d'en être l'instituteur? C'était un énorme problème de communication, ne serait ce que pour donner un ordre.                                                                           Par le passé, à la compagnie, des cours du soir avaient été dispensés dans le but d'améliorer la situation. Mais le résultat fut dérisoire. Certains arrivaient tout juste à signer leur nom en lettres majuscules sur les états de paie. Ce qui prenait un temps fou. Mais cela m'a valu aussi un incident qui a failli dégénérer.

NDRL-  Ici apparaissent les défaillances de la colonisation. Cette population n'avait pas été alphabétisée et ne savait ni lire ni écrire. Les militaires résolurent le problème en regroupant les familles près de leur poste, les coupants ainsi de leurs exploitations, mais était-ce la bonne solution?... 


Pour les opérations, les harkis recevaient des rations dites musulmanes. Un des miens avait réussi à déchiffrer « William Saurin » sur une boîte de conserve. Pour eux cela voulait dire « porc ». Cela déclencha une levée de boucliers et la section était décidée à Terrassement-pour-poser-la-cloture-photone pas sortir en opération. J'avais beau leur dire que ce n'était qu'une marque et que, dans la boîte, il y avait du bœuf et des carottes, ils ne voulaient rien entendre. Je leur épelais les lettres, ils ne me croyaient pas, bien qu'ils me connaissaient depuis plusieurs mois et m'appréciaient. Comme nous nous trouvions à la compagnie j'ai fait appeler le sergent harki qui savait lire et écrire. Il leur a expliqué. Le problème a été immédiatement réglé.

 

Précieux ce sergent. D'un certain âge il était considéré comme un sage, un ancien, un « CHIBANI ». En outre, vu son grade, rare chez les harkis, il était respecté. Il a été nommé sergent-chef sur la fin de mon séjour. Nous nous entendions bien. Un jour, il m'a invité à déjeuner à la cuisine harki. J'ai accepté avec plaisir parce que c'était un honneur. D'ailleurs, il n'était pas possible de faire autrement. Sinon c'était l'affront pour tous les harkis avec des conséquences imprévisibles. C'est ainsi que je me suis retrouvé avec lui, assis par terre, face à face, avec une cuvette entre nous deux contenant le plat du jour du chef. Munis d'une cuillère à soupe chacun, en discourant, nous avons tout consommé. Ce fut la gloire pour moi.

 

Il m'a été dit que le bataillon avait utilisé des supplétifs avant même que les harkis soient inventés. J'en avais un dans ma section, LOUMI DJILALI. C'était un de mes deux gardes du corps et mon ordonnance. Un cas ce LOUMI. Je serai amené à en reparler. Avec le plan CHALLE, leur recrutement a été poussé et progressivement ils ont remplacé les appelés du contingent qui manquaient du fait des classes creuses de 1939/1945. Il faut dire que le 1/22 était le parent pauvre du régiment puisqu'il était détaché dans le secteur de CHERCHELL. Nous étions en tout les derniers et, sur beaucoup de plans, les plus mal servis.

 

Mais ces harkis avait un statut particulier. 

Ils étaient considérés comme de simples supplétifs et non comme des militaires à part entière. En règle générale, ils ne résidaient pas dans le camp mais aux abords immédiats, en famille. Ils n'étaient appelés que pour les opérations et éventuellement pour les convois. Au moins dans la 1ère compagnie, le statut était tout autre. Certainement par nécessité car, sans eux, il n'y avait plus d'armée. Ils étaient incorporés dans les sections, vivaient dans le camp et respectaient les ordres. Ils étaient à disposition permanente du commandement. En apparence de simples soldats.



Pourtant, ils avaient un régime spécial. Ils étaient payés, à BOU ZÉROU à mon époque, autant que je m'en souvienne, un peu plus de 180 NF (le Nouveau Franc avait cours légal depuis le 1/01/1960) brut par mois, soit un peu plus de 160 NF net. En effet ils devaient payer la maigre pitance que l'armée leur livrait et la préparer. Ils disposaient pour cela d'un cuisinier harki. Les recettes variaient en fonction de ce qui était BOU-ZEROU-le-mechoui-3-photo-J.C.PICOLETdisponible. Mais le mode de cuisson était invariable. Dans un grand chaudron, il mélangeait tout ce dont il disposait et le faisait cuire au maximum. Le pain était aussi fourni en quantité raisonnable. Ce n'était pas gastronomique mais suffisant et pas cher. Ils étaient avantagés par rapport à la population car eux avait de quoi manger et, en plus, de nourrir leur famille.



Pour compenser ce service, les harkis originaires des différents douars du secteur, sauf de BÉNI ALI, avaient droit à de petits congés réguliers et rémunérés avec délais de route. Pour une large part, les harkis étaient d'anciens fellaghas qui s'étaient ralliés, mais sans arme… ou faits prisonniers et « retournés ». Mais la tâche était aisée parce qu'ils avaient été enrôlés de force par le FNL et qu'il était difficile de le refuser. Tout réfractaire était égorgé sur le champ. En outre, les autochtones étaient des Berbères qui exécraient les Arabes qu'ils considéraient comme des envahisseurs les ayant repoussés sur les djebels. J'y reviendrai.



Il existait aussi une race particulière de harkis qui étaient appelés « harkis fictifs ». Ils figuraient tous sur les états de paie des unités utilisatrices mais ne leur appartenaient pas tous. Ils étaient « rattachés », si on peut parler ainsi, à chaque niveau : bataillon, secteur et certainement au-dessus. A la compagnie, nous avons décidé d'avoir le(s) nôtre(s) aussi. Le recrutement était simple, quand un harki démissionnait ou malheureusement se faisait tuer, il n'était pas rayé des contrôles. Seulement déclaré comme tel. Sauf bien sûr celui que nous souhaitions conserver pour nous. Ce que chaque échelon devait faire également. Lors de la paye, le secrétaire conservait les fonds qui étaient rétrocédés sauf ceux que nous conservions. Le secrétaire signait l'état de la paie d'une empreinte légèrement « tournée » après avoir enduit son index d'un peu de terre. J'ai moi-même participé à ce genre de signature car j'aime rendre service. A la compagnie, cet effectif tournait autour de 4/ 6 personnes dont 1 ou rarement 2 pour nous. C'était d'autant plus facile que, bien évidemment, nous ne risquions aucun contrôle.



Mais à un moment ou à un autre un harki fictif disparaissait et nous n'avions pas forcément la relève. Le nôtre pouvait alors changer de niveau. Je ne sais ce que devenaient ces fonds. A la compagnie, ils étaient uniquement utilisés pour la troupe. Achat de jeux pour le foyer par exemple. Et même achat de casquettes Bigeard pour toutes les sections, donc y compris les harkis. A chaque fois que j'ai résidé à la compagnie, j'ai toujours vérifié la comptabilité de ce qu'il faut bien appeler « la caisse noire ».



 

 

LE SECTEUR



Le secteur de la compagnie représente schématiquement, sur le terrain, un quadrilatère de 10 km de côté du Nord au Sud et 20 km d'Ouest en Est. Ses limites s'appuient tout naturellement sur des «  frontières naturelles ». Au Sud et à l'Est, c'est le bassin fluvial Piste-BOU-ZEROU-TAZZEROUT-le-1040-a-l-hode l'oued ES SEBT qui débute à 1040, la ligne de crête, ligne de partage des eaux, qui surplombe l'oued sur sa rive droite. A l'ouest, partant de 1040, la limite de secteur « saute » l'oued BOU LARBI pour englober TAZZEROUT, une nécessité stratégique car ce douar était beaucoup plus proche de BOU ZÉROU que de la 3ème  Cie et avec une meilleur voie d'accès. Ensuite, la limite plonge vers le Nord, en suivant une ligne de crête qui aboutit à VILLEBOURG. La limite Nord est, quant à elle, quelque peu aléatoire. C'est une ligne O-E qui passe à proximité, au sud, de LOUDALOUZE, puis au pied de BÉNI ALI.



Mais, cette ligne Nord était aussi une frontière ethnique et linguistique. Au nord la population est Arabe, au sud, Berbère. Et de chaque côté on ne parle pas la même langue. A une exception près, peut-être, pour BÉNI ALI. J'ai remarqué que les harkis n'ont jamais aimé les habitants de ce douar. Je n'ai jamais remarqué cette même attitude dans les autres douars. Et ils ne devaient certainement pas être plus appréciés par le 1er  bataillon puisqu'ils ils étaient les seuls dans notre secteur à ne pas avoir constitué un GAD, car jugés « pas sûr » du tout. Je ne sais quelle langue ils parlaient. Et je n'ai jamais pensé à le vérifier.



La 1ère  compagnie était implantée sur deux sites : BOU ZÉROU et TIGHRET, une ancienne maison forestière qui avait été fortifiée, et une « annexe » à TAZZEROUT. Je serai amené à y revenir. L'ensemble était desservi par deux pistes. La principale qui La-piste-qui-dessert-TAZZEROUTphoto-J.C.reliait la compagnie au bataillon en passant par LOUDALOUZE. C'était la plus courte et aussi la plus sûre. Certainement de création récente car elle ne figure pas sur la carte de l'IGN de 1958, dressée à partir de relevés de 1957. La seconde, par TIGHRET, était nettement plus longue et beaucoup moins sûre car toujours en zone interdite. Cette piste, connue de longue date, se dirigeait également vers l'ouest pour desservir TAZZEROUT. Elle se prolongeait même au-delà et rejoignait la 3e Cie. Mais elle n'était plus entretenue et, de ce fait, peu voire pas utilisée. Néanmoins, comme j'ai pu le vérifier une fois, lors d'une visite d'amitié à la 3ème , elle était restée carrossable.



Ces pistes, quasiment des voies étroites, étaient dangereuses car la simple trace d'un bull, sans couche de base, sans aucun revêtement, avec emprise au maximum sur le djebel sans roches. En cas de très fortes pluies, les glissements de terrain étaient fréquents. A certains endroits, notamment l'intérieur des virages en épingle à cheveux, on élevait des murets, jusqu'à 2/3 mètres de hauteur, constitués de pierres sèches empilées sans liant. Il valait mieux ne pas rouler dessus. Sauf pour les GMC, extrêmement stables, qui étaient capables de prendre un virage avec une moitié des ponts-arrière dans le vide. Si un muret cédait, il était amélioré. Les pierres étaient alors placées dans des parallélépipèdes rectangles de grillage qui les maintenaient en place.



Les accidents étaient nombreux. Pendant mon séjour à TIGHRET, deux véhicules de la compagnie, venant nous livrer provisions et matériel ont quitté la piste. Le premier, juste après le col, un GMC a « loupé » un virage. Il est parti tout droit. Heureusement la pente n'était pas trop forte, une petite crête a canalisé le véhicule qui ne s'est pas renversé. Le chauffeur a gardé son calme et a réussi à le stopper à plus de 100 mètres de la piste. Les passagers sur le plateau arrière ont sauté en marche ou ont été éjectés. Ce GMC venait nous livrer un réfrigérateur à pétrole offert par la Fondation de Le-djebel-et-un-oued-pres-de-TIGHRET-phoLATTRE. Il a été éjecté aussi. Malheureusement, il est retombé sur la poitrine d'un harki. La cage thoracique écrasée, il est mort sur le coup. Les autres passagers n'ont subi que des blessures légères. On n'a jamais su la cause exacte de cet accident. Le chauffeur, au demeurant expérimenté, a soutenu que le volant s'était bloqué. A l'examen, aucune anomalie n'a été détectée. Certainement une faute d'inattention. Quelques mois plus tard, nous avons touché un autre réfrigérateur.



Le deuxième accident s'est produit sur la même piste, juste avant le col, toujours en direction de TIGHRET. Un Chevrolet, cette fois-ci, en livraison. Après un étroit virage intérieur en épingle à cheveux la roue avant gauche a empiété sur le muret qui a cédé, entraînant le véhicule dans le vide. Une chute d'une dizaine de mètres. Deux blessés graves, de nombreuses fractures, et plusieurs blessés légers qui ont été évacués rapidement. Cause de l'accident ? Le chauffeur conduisait les manches retroussées à moitié sur les avant-bras. A la sortie du virage, le Chevrolet ayant une cabine fermée, la poignée de la porte s'est engagée dans la manche gauche. Ne pouvant redresser, le chauffeur s'est affolé et au lieu de lâcher prise, il s'est cramponné à son volant et il est parti.



Mais à chaque chose, malheur est bon ! Bien évidemment, chaque accident permettait d'officialiser ce que nous ne retrouvions plus car justement ces objets étaient dans le camion. A la compagnie, il y avait un problème récurrent avec une trousse d'entretien d'une mitrailleuse Hotchkiss. Personne n'avait le souvenir de cette trousse et d'autant moins qu'il n'y avait pas et n'y avait jamais eu une telle arme. A chaque inventaire, c'était la marotte du colonel qui commandait le régiment, cette trousse refaisait surface. Eh L-oued-au-pied-de-TAZZEROUT-photo-J.C.PIbien! ne riez pas, nous venions justement de la retrouver. Comme le convoi, après nous avoir livré, devait poursuivre sur GOURAYA, la trousse avait été embarquée pour être restituée. Mais, manque de chance justement sur le camion accidenté. Les recherches entreprises dans le ravin n'avaient pas permis de remettre la main dessus. C'était une cause de bon aloi, elle a été acceptée. Et on n'en reparla pas!



Ces pistes avaient deux spécialités qui auraient presque demandé un permis spécial. Tout chauffeur digne de ce nom se devait de les avoir pratiquées. Les astuces pour réussir se transmettaient de bouche de chauffeur à oreille de chauffeur. La première se situaient sur la piste de GOURAYA à BOU ZÉROU passé LOUDALOUZE quand on attaque les premiers lacets, plutôt secs, du djebel, juste sorti d'un douar dont je n'arrive pas à retrouver le nom. Son chef s'appelait BOUHAMAMA et justement sa mechta se trouvait au pied de la pente. Pour éviter les lacets très serrés, les chauffeurs de GMC passaient tout droit sur une pente impressionnante. Seuls les GMC pouvaient le faire, les autres prenaient la piste. Et à la montée seulement. A la descente, sous son poids, le GMC aurait décollé et percuté de plein fouet la mechta de ce brave chef.



L'autre particularité était la curiosité de la piste à proximité du douar de TAZZEROUT. La plus connue, la plus spectaculaire aussi. La piste, à flan de djebel, dessinait un « Z » pour le franchir. Mais la roche dans laquelle elle avait été ouverte était complément éclatée en une multitude de pellicules. On pouvait la creuser à la main. Les virages étaient si peu larges que les GMC ne pouvaient passer sans moult manœuvres au bord du gouffre. Pour les éviter et aller vite, à la montée, le chauffeur parcourait normalement la partie basse du Z. Pour la barre transversale, il partait en marche arrière. Pour la partie supérieure, il repartait en marche avant. Pour le retour, la démarche était inverse. Excessivement impressionnant à regarder. Cela donnait la chair de poule. Avec le démarrage en côte, il y avait toujours un petit recul. Ce n'était pas grave car il y avait une marge de sécurité. Mais j'ai assisté un jour à une opération qui a failli mal tourner. Le chauffeur est parti nettement en arrière avant de se ressaisir. Les roues arrières étaient au bord du gouffre et la fin du plateau au-dessus. Mais plus un seul harki à bord. Ils avaient tous sauté, s'éparpillant comme une volée d'étourneaux.



La piste de BOU ZÉROU à TIGHRET, en début de séjour, donnait le frisson. Après, on s'y habituait. Elle était bordée de broussailles, buissons et autres arbustes en amont. De quoi se dissimuler pour des fells en embuscade. La vitesse était faible du fait des nombreux virages. Avec le talus, un tireur embusqué se serait retrouvé à la hauteur des harkis assis. Il aurait pu les abattre à bout portant. Je ne sais plus qui, mais un commandant de la compagnie a décidé, chut, surtout ne le dites pas, de tout brûler. Il n'y a jamais réussi malgré plusieurs tentatives. Aux grands maux les grands remèdes. Il a mobilisé les hommes du douar de BOU ZÉROU pour tout couper sur une largeur de plusieurs mètres à l'endroit le plus touffu. Et il a attendu que tout cela sèche. Ce stade atteint, il a ordonné d'y mettre le feu. Sans aucun résultat. Fâché, il a abandonné son projet et nous avons conservé cette sacrée végétation.



Et dire que, peu de temps auparavant, des véhicules de la 2e Cie qui regagnaient leur camp, ont été accrochés par des fellaghas. Le servant de la mitrailleuse du half-track, a tiré sur eux et mis le feu à la forêt dans laquelle ils se dissimulaient. La forêt a brûlé pendant quatre jours, illuminant le ciel nocturne. De BOU ZÉROU, nous voyions l'incendie. La température a dépassé les 45°. Une fournaise. Tout a été réduit en cendres. Ayant eu l'occasion de survoler cette zone en T6 quelques mois plus tard, j'ai pu constater qu'il ne restait plus rien. Pas le moindre moignon d'arbre. Seulement un tapis gris. Cela a amené le Bachaga BOUALEM, député du secteur, à intervenir au Palais Bourbon pour demander le versement d'indemnités à la population. Je pense que l'affaire a dû être étouffée puisque nous n'en avons jamais entendu parler. Ni des fells de l'embuscade, non plus, d'ailleurs.



Les pistes avaient aussi un inconvénient : la poussière. Une poussière fine avec une texture de poudre de riz, mais jaune. Un véhicule sur une piste laissait dernière lui un immense panache. Comme une queue de comète. Sur une ligne de crête, il était visible aussi loin que portait la vue. Aussi, en convoi, il valait mieux être devant. C'est pourquoi la jeep du lieutenant ouvrait toujours la piste. Les harkis sur les camions arrivaient à destination avec une couche de poussière, pouvant atteindre plusieurs millimètres, sur le visage. Cette poussière était présente partout. Elle imprégnait les treillis mouillés de sueur et s'y accrochait. Longtemps après la fin de mon service militaire, quand ma femme lavait les treillis perso que j'utilisais pour bricoler, il en sortait toujours un jus jaune. J'ai souvent pensé à l'état de mes poumons.







  LA POPULATION



La population de notre secteur était essentiellement composée de Berbères qui détestaient les Arabes de surcroît. Ceux-ci étaient pour eux les envahisseurs qui les avaient repoussés dans les djebels où ils vivaient depuis misérablement. Si les faits, remontant au VIIe siècle, avaient été oubliés, le souvenir perdurait. Ils n'aimaient pas les « PIEDS NOIRS », non plus, pour s'être frottés à eux quand, pauvres fellahs, ils louaient leurs bras pour les travaux agricoles. Mais, allez donc savoir pourquoi, ils aimaient bien la France et les Français.



Ces Berbères, dès la conquête, avaient été convertis à l'Islam. Ils étaient donc musulmans. Mais guère pratiquants. Durant mon séjour, je n'ai jamais vu un seul civil ou harki en prière. Quant au Ramadan, les harkis ne le respectaient que quelques jours. En outre, tous fumaient et buvaient de la bière, quand ils pouvaient se l'offrir. Cela ne devait pas les faire remonter dans l'estime des « bons musulmans ».



Une-famille-dans-un-village-de-montagne.La pauvreté des sols leur avait fait adopter un habitat dispersé. Chaque famille tentant de survivre sur son petit lopin de terre loin de tout et de tous. Les opérations militaires allaient bouleverser leur genre de vie.



Dès le début de la rébellion, les sergents recruteurs du FLN ont sillonné les campagnes. Ils se sont présentés comme des Libérateurs. Ils allaient chasser les Roumis et leur rendre leurs terres. Des Roumis, eux les fellahs, ils n'en avaient jamais vus sur leurs terres. Mais ils avaient la désagréable impression d'être de nouveau envahis. D'autant plus que les fellaghas étaient exigeants. Il fallait payer l'impôt, difficile quand on n'a pas d'argent, et surtout rejoindre leurs rangs. Et, pour convaincre, ils avaient un argument persuasif. Tout réfractaire avait la gorge tranchée, séance tenante, devant la foule rassemblée. Beaucoup les ont donc suivi. Plusieurs ont été égorgés.



Mais dans notre secteur, il y avait un village qui a refusé, fermement. LARIOUDRENNE. Le chef, un certain KHADIR. Un ancien sergent-chef dans un régiment de tirailleurs algériens qui s'était distingué durant la Seconde Guerre Mondiale pendant la campagne d'ITALIE. Médaille Militaire, Croix de Guerre, sûr de son autorité. Et un illustre inconnu osait lui dire qu'il n'était plus le chef et que c'est lui qui prenait sa place. Un véritable outrage. L'entretien se termina par un refus sans appel. Vraisemblablement en situation d'infériorité, les fellaghas se retirèrent, menaçants, en promettant une prochaine visite.



KHADIR, lucide, savait qu'il ne pourrait pas leur résister. Il lui fallait de l'aide. Elle ne pouvait provenir que de l'Armée française, sa seconde patrie. Il se pointa donc à GOURAYA et au chef de bataillon, médusé et suspicieux, réclama des armes. Mais à cette époque, cela ne se faisait pas. Pas encore. Il essuya un refus catégorique. Au mess qui a suivi cet entretien, je pense que les officiers se sont bien amusés.



Mais KHADIR était têtu. Pour prouver sa détermination et sa bonne foi, il attendit le retour des fellaghas et le moment venu leur tendit une embuscade. Sans aucune arme, il les fit prisonniers et les livra, avec armes et bagages, aux militaires. Il obtint des armes, des fusils et même deux PM, des MAT 49. Ce fut peut-être le premier GAD avant la lettre.



Par la suite, les fellaghas se vengèrent en tendant une embuscade sur la piste que les habitants empruntaient pour se rendre au marché de GOURAYA. Plusieurs furent tués dont le fils aîné du chef qui perdit son PM. Cette arme fut retrouvée sur le cadavre d'un fell tué au cours d'une opération. Elle fut restituée au village lors d'une cérémonie militaire spéciale.



Vint la mise en œuvre du plan du général CHALLE. Suite à sa boutade « Dans la population, le FLN est comme un poisson dans l'eau. Enlevez l'eau. » la vie des populations locales fut totalement et terriblement modifiée.



Dans le secteur de la 1ère  compagnie, depuis des temps immémoriaux, l'habitat était dispersé en raison de la pauvreté des sols. Il suffit de consulter la carte d'état-major de La-piste-et-la-paysage-vus-du-Bordj-sergl'IGN de l'année 1958 pour s'en convaincre. Elle est comme constellée de symboles de mechta. A mon arrivée, tout le monde était regroupé en 6 douars. Sur la ligne de crête du camp se trouvaient BOU ZÉROU et TAZZEROUT. Le regroupement de BOU ZÉROU avait été créé de toutes pièces. Il rassemblait tous les anciens habitants de la partie supérieure de l'Oued ES SEBT. TAZZEROUT était un douar où avait été transférés tous ceux qui étaient installés dans l'oued BOU LARBI à proximité de sa source. Plus au nord, quatre douars pratiquement alignés EST-OUEST en partant de TIGHRET. Tout d'abord BÉNI ALI puis LARIOUDRENNE et ensuite deux villages dont le nom m'échappe. Un face à LARIOUDRENNE sur l'autre rive d'un oued encaissé et enfin le village, dont BOUHAMAMA était le chef, proche de LOUDALOUZE.



Mais la différence de traitement entre les populations de la ligne de crête et celles du pied du djebel était grande. Les premières avaient tout perdu et pouvaient se retrouver à des heures de marche de leur ancienne implantation. Les deuxièmes plus concentrées avaient été plus rassemblées que regroupées et, de ce fait, demeuraient relativement proches de leurs anciens lieux de culture. Dans la journée, elles pouvaient les cultiver sans trop de contraintes. Au contraire des autres qui avaient interdiction de s'y rendre. Ce qui avait abouti à faire, de la piste de TIGHRET à TAZZEROUT, une frontière entre une zone interdite et une zone que l'on pourrait qualifier de contrôlée.



Les douars ne comptaient que quelques à plusieurs centaines d'habitants donc rien d'excessif. Je le sais d'autant mieux que j'ai procédé, peu de temps avant le référendum sur l'autodétermination, à un recensement dans cinq douars. TAZZEROUT ne faisait pas partie de mon enquête. Avec une petite escorte, je me suis présenté dans chaque douar muni de cahiers d'écolier et de crayons de papier soigneusement taillés. Le chef du village avait été préalablement informé de ma visite par un harki permissionnaire. Il devait réunir autour de lui un comité d'anciens chargés d'apprécier la justesse de l'information communiquée. Si le chef de famille était sur place, c'est lui qui venait. Le comité le contrôlait parce qu'il n'était pas rare qu'il ne se rappelle plus exactement du nombre de ses enfants. S'il n'était pas là, c'est le comité qui répondait, car il était impensable qu'une femme puisse se présenter devant nous. Au fur et à mesure, j'enregistrais noms et prénoms, âges, souvent estimés, et procédais au décompte.



J'ai pu ainsi faire un certain nombre de constatations. Tout d'abord, pour tous les douars recensés, il n'y avait que deux hommes qui avaient deux femmes. Car elles coûtaient fort cher et il fallait les nourrir. J'ai touché le problème du doigt quand un jour à TIGHRET, j'ai supprimé toutes les permissions des harkis, sur ordre du commandant du secteur, car il fallait fournir le maximum d'hommes pour une opération. Quelle ne fut pas ma surprise de recevoir, sur sa demande, un harki en pleurs. Il devait se marier le lendemain et pour cela verser la dernière mensualité due pour la dot de sa femme. S'il ne le faisait pas, le contrat était rompu. Il perdait alors sa femme et tout ce qu'il avait déjà versé. Par curiosité, j'ai voulu en savoir plus. Il devait encore 50 NF. Il en avait déjà versé 300. J'ai donc désobéi aux ordres et l'ai laissé partir. Mais qui aurait pu s'en rendre compte ?



Néanmoins, je voulais vérifier la véracité de ses dires. Par la suite, lors d'un passage à BOU ZÉROU, j'ai interrogé le chef du village, un certain BOUADDI, sur les conditions de ce contrat, sans citer de nom, comme une simple information de portée générale. Il m'a confirmé que tout était normal. Y compris le prix soit 350 NF pour une jolie et (très) jeune femme « pas cassée ». Amusé, je lui ai demandé combien il m'en coûterait si je voulais en acheter une. Sans hésiter, en souriant, il m'a répondu 1000 NF pour un officier Roumi. Je lui ai alors demandé, en souriant aussi, s'il ne cherchait pas à me voler et si cette différence de prix n'était pas la commission qu'il se mettrait dans la poche. Sans se départir de son sourire, il a opiné de la tête. Ce qui signifiait aussi que c'était négociable. A l'époque, en tant qu'officier, pendant la durée légale du service, mais avec les diverses primes, dont celle de risque, ma solde se montait à environ 850 NF par mois. Non, ne rêvez pas, je n'ai pas conclu de contrat…



D'autres remarques tirées de ce recensement. Tout d'abord, le nombre d'enfants par couple n'était pas trop élevé. Ce n'était pas un contrôle des naissances, seulement la conséquence de la mortalité infantile. Ensuite, les hommes dans la force de l'âge étaient peu nombreux. Où étaient-ils, me direz-vous ? Je l'ai appris. Quelques uns en FRANCE, guère plus dans la MITIDJA. Ceux qui étaient encore chez les fellaghas, pas nombreux. Et bien évidemment les harkis, fort nombreux, eux. On pouvait s'en douter. Tous les morts ont aussi été déclarés. Des deux côtés, avec peu de pertes chez les harkis. Et ceux qui furent égorgés. J'ai souvent regretté de n'avoir pas conservé ces informations très instructives. Mais je n'ai jamais imaginé un seul instant que je pourrais en parler un jour.

 



SURVIVRE



Mais, de quoi vivaient-elles, ces populations ? J'en suis encore à me le demander !



En deçà de la piste les populations devaient continuer à vivre comme elles l'avaient toujours fait. Seul leur lieu de résidence avait été déplacé. Elles devaient certes respecter certaines consignes, mais leurs déplacements, de jour tout au moins, demeuraient libres. Elles pouvaient même se rendre au marché de GOURAYA. Il en allait tout autrement 1958-Poste-de-BOU-ZEROU-avec-le-155C-phopour celles installées précédemment au delà de cette piste. Et pire encore pour BOU ZÉROU que pour TAZZEROUT. Avant 1940, tout le djebel environnant était boisé. Des lions de l'Atlas, m'a-t-on dit, y vivaient. Tout a disparu depuis et la végétation qui subsistait était inexploitable. Le sol aussi car la terre arable avait été emportée. Et ses habitants ne pouvaient s'éloigner du regroupement. Il n'existait, quand il y avait un peu d'eau, que des jardinets, si on peut appeler cela ainsi, de quelques mètres carrés dans lesquels poussaient essentiellement des oignons. Pas de quoi survivre.



Certaines personnes possédaient quelques bêtes, surtout des chèvres, mais les pâturages étaient rares. Et les enfants qui les gardaient ne pouvaient s'éloigner, eux non plus. En outre, toute bête qui s'échappait devait être considérée comme perdue. Si une était retrouvée en zone interdite, elle devait être abattue aussitôt pour éviter qu'elle n'améliore l'ordinaire des fellaghas. Pourtant les harkis n'auraient jamais commis un tel crime. Sauf s'ils étaient trop loin de leur base, ils préféraient la ramener. Alors elle améliorait notre ordinaire.



A TIGHRET nous avons fait deux prises. Une fois, un âne. Mais il a été reconnu et Prise-de-guerre-en-zone-interdite-photo-rendu à son propriétaire. Et une vache, une toute petite vache, qui n'avait que la peau sur les os. Nous avons attendu un bon moment pour savoir si le propriétaire se manifesterait. Ce qui ne fut pas le cas. Comme personne ne la reconnaissait, elle passa à la casserole. Quelques jours plus tard, un harki de BOU ZÉROU, Ahmed BOUADI, revint de permission dans une colère noire. Cette vache était la sienne. Il ne l'avait pas reconnue et l'avait mangée. Cela amusa beaucoup les autres harkis. Heureusement quelques semaines plus tard, la chance lui sourit. Il lui a fallu des semaines pour s'en remettre. S'il ne s'en est jamais remis. J'y reviendrai plus tard. Une incroyable histoire.



Pour en revenir à BOU ZÉROU et TAZZEROUT, le meilleur moment était celui des récoltes. Les habitants étaient alors autorisés à se rendre en zone interdite sous la protection de la compagnie. Ils récoltaient les olives, les fruits des figuiers de Barbarie et les glands des chênes-lièges avec lesquels ils faisaient une sorte de farine. Les habitants de TAZZEROUT avait même une spécialité pour ces glands. Ils les entassaient dans des silos creusés à même le sol et les laissaient fermenter pendant plusieurs semaines. Cela dégageait une odeur épouvantable. Il n'était pas possible de manquer le douar, même de nuit, par temps de brouillard. Après séchage, ils en faisaient de la farine. Il va s'en dire que c'était les femmes qui remontaient, du fond de l'oued, les lourds sacs. Sur la tête. Avec parfois un bébé sur le dos ou sur la poitrine. Et même parfois, un dans le ventre. C'était ainsi. Depuis leur plus tendre enfance, elles avaient tout porté de la sorte.



La compagnie procédait aussi à des distributions de vivres mais uniquement à BOU ZÉROU. Du lait en poudre et de la farine. Elles étaient rares et peu abondantes. La valeur du contenu d'une boîte de conserve de 1 kg, genre petits pois, par personne. J'ai effectué moi-même 3 distributions. Il n'y en eut guère davantage. C'était des dons d'associations américaines. Tout le monde était présent et on faisait l'appel. Les femmes devaient venir puisque les hommes n'étaient pas là. Certaines belles-mères refusaient que leur bru les accompagne et proposaient d'emporter leur part. Je ne pouvais l'accepter car souvent elles la gardaient pour elles. Le chef du village était chargé de régler ces problèmes. Si la personne ne se présentait pas, sa part était perdue. Des belles-mères, malgré cela, refusaient que leur bru sorte.



Ce qui permettait de gagner un petit peu argent à BOU ZÉROU, c'était le charbon de bois. Beaucoup en produisaient. Pour le faire, il fallait un permis mais il y avait un trafic monstre. Le résultat, c'est que la forêt avait complètement disparu et qu'il ne restait que des arbustes, en voie d'extinction eux aussi. Mais comment concilier l'inconciliable ? Le charbon de bois était acheté par le chef du village BOUADDI qui possédait une camionnette pour le transporter à GOURAYA. S'il y avait un surplus nous le chargions, gracieusement, dans nos camions qui descendaient pratiquement à vide. Il se disait que la 3ème  Cie s'était octroyé le monopole de son transport dans son secteur contre une juste rétribution pour ses bonnes œuvres. Mais ce n'était peut-être qu'un ragot.



Sauf exception, BOUADDI ne réglait pas ses achats en espèces. Il ouvrait un compte à ses fournisseurs dans l'échoppe qu'il tenait à BOU ZÉROU et dans laquelle il vendait BOU-ZEROU-le-poste-avec-la-tour-d-entreetous les produits de consommation courante. Comme GOURAYA était loin, sans moyen de transport, la vente était pratiquement forcée. Et double bénéfice pour lui. BOUADDI était un personnage pas très sympathique, pas très net en affaires. Et peu apprécié des siens qu'il exploitait. Il avait une bonne côte auprès du bataillon pour fait de guerre. Attaqué par un fellagha qui voulait l'étrangler, comme il allait succomber, dans un dernier effort pour survivre, il avait dégoupillé une grenade et placée dans le dos de son agresseur, le tuant sur le coup. Bien sûr il y avait laissé sa main et la moitié de son avant-bras, mais il était vivant.. Cet acte héroïque lui avait valu une décoration. Les mauvaises langues, des gens du cru, dont des harkis, disaient que cette version des faits n'était pas tout à fait exacte. La bagarre n'avait pas eu lieu avec un fellagha mais avec un mari jaloux pour les uns, avec un associé escroqué pour les autres. Peut-être les deux. Seule la grenade était vraie. Les gens sont méchants à l'encontre de ceux qui réussissent dans les affaires.



Lors de la fin de mon séjour à la compagnie, BOUADDI est venu me voir. Il sollicitait mon aide car il affirmait que son acheteur à GOURAYA ne lui payait pas le bon prix pour le charbon de bois. Je me suis renseigné et cela m'a paru exact. J'ai donc accepté de défendre ses intérêts à la seule condition qu'il augmente, lui aussi, son prix d'achat à ses propres fournisseurs qui se plaignaient…de ne pas être payés par lui au juste prix. La palabre fut longue, ardue, mais il accepta puisque globalement il était gagnant. Par un prochain convoi avec BOUADDI et une livraison, j'ai rencontré son client. Celui-ci toussa un peu mais il accepta, vraisemblablement parce que ce marché était juteux pour lui et qu'il valait mieux ne pas se fâcher avec un militaire. Et d'autant moins qu'il a dû penser, pour agir ainsi, que j'étais dans le coup. BOUADDI m'a remercié mais devait quand même m'en vouloir. Par contre ma côte est montée en flèche à BOU ZÉROU.



Quand on analyse les moyens d'existence des populations on se dit que finalement le produit le plus rentable, le plus régulier, le plus sûr, c'était le harki. Sans d

oute possible, c'est lui qui faisait vivre le maximum de gens du secteur. Ce qui expliquait qu'il nous était facile de couvrir nos besoins en hommes. L'offre était abondante.



Il existait une autre méthode pour se procurer régulièrement, à bon compte, de la nourriture à BOU ZEROU. Mais il fallait montrer patte blanche. Une bonne demi-douzaine de familles avaient obtenu l'autorisation de venir récupérer les restes des repas, deux fois par jour, aux cuisines du camp. La quantité n'était pas toujours au rendez-vous mais il y avait toujours quelque chose à gratter. C'était de jeunes enfants, BOU-ZEROU-on-vient-au-ravitaillement-J.Centre 6 et 9 ans, un garçon et des fillettes, qui étaient chargés de cette mission. Je n'ai jamais pu savoir quels avaient été les critères de sélection à l'origine puisque personne ne le savait et qu'il n'en restait aucune trace. Et qu'il avait été décidé qu'il n'y aurait plus de nouveaux bénéficiaires. Autant que faire se peut en raison de mon affectation à TIGHRET, j'avais pris en charge deux fillettes, ACHOURA et ZOHRA. Ce que j'ai su à propos de leurs familles respectives n'a satisfait en rien ma curiosité. ZOHRA vivait seule avec sa mère pratiquement sans ressources. J'ai appris par le recensement que son père avait été égorgé par les fellaghas pour ne pas avoir voulu les suivre. ACHOURA vivait avec ses parents, avait une sœur mariée et un frère aîné chez les fellaghas, mais non combattant. C'est une certitude puisque ma section l'a fait prisonnier. Alors, les critères de sélection… Pour ce qui est de ces fillettes, et du frère, j'en reparlerai ultérieurement.



Sur le plan social, l'Armée ne faisait rien. A LOUDALOUZE, il y avait la SAS qui était accessible à tous. En fait, facilement accessible à nos deux seuls villages les plus proches. A BOU ZÉROU, il y avait une école mais elle était civile. Elle était installée, entre camp et douar, dans une baraque de chantier métallique y compris les portes, les fenêtres et les volets. Soit dit en passant, un four. L'instituteur était un civil, un jeune PIED NOIR d'ALGER. Il logeait dans son école et le GAD était chargé de sa sécurité. La compagnie l'autorisait à prendre ses repas avec les appelés et à fréquenter le foyer.



A TAZZEROUT, pour une raison inconnue, la compagnie avait détaché un appelé en tant qu'instituteur. Il occupait un petit bâtiment construit en dur, avec porte blindée, s'il BENI-BOUANOU-FRECHET-et-sa-classe-photo-vous plaît, qui à l'origine devait abriter un groupe de militaires chargés de surveiller le village lors de l'installation de la compagnie à BOU ZÉROU. Maintenant, il vivait seul, isolé, mais avait droit à un harki pour lui tenir compagnie. C'était jugé suffisant puisque le GAD, là aussi, assurait sa sécurité. Que pouvait-il bien faire de ses journées ? C'était une aberration. Une totale inconscience criminelle. Bien évidemment, il n'était plus possible de faire machine arrière sans que le douar vive cela comme une humiliation.



Pour en finir avec cette partie relative à la subsistance des populations locales, il faut signaler une tentative de reboisement. Comme la compagnie n'a jamais disposé de la Le-bull-trace-les-banquettes-pour-plantemoindre information, je pense que l'expérience a été menée sous l'égide de la SAS de LOUDALOUZE. Elle concernait la pente du djebel au sud de LOUDALOUZE mais dans notre secteur, au nord de la piste BOU ZÉROU-TAZZEROUT. Il avait été ouvert avec de petits « bulls », dans la pente du djebel, des marches de moins de 2 m de large qui suivaient les courbes de niveau, tous les 10 m de dénivelée environ. Ces plates-formes étroites, style sud-est asiatique, permettaient de freiner la descente des eaux donc de supprimer les glissements de terrain. En outre, elles avaient été plantées d'oliviers et de figuiers pour assurer un complément alimentaire à la population. Cette expérience échoua lamentablement, car dès le départ des ingénieurs agronomes, on laissa divaguer le bétail qui se précipita pour bouffer les plantations. On en resta là.



 

 



LES GAD



Les GAD, Groupements d'Autodéfense, étaient une des composantes du Plan CHALLE pour l'intérieur. Si on avait « vidé l'eau », il fallait la stocker pour la contrôler, « les Centres de Regroupement », et la défendre pour contrer toute tentative de récupération, « les GAD ». Mais, il faut bien le dire, c'était aussi un moyen pour « mouiller » les populations, pour les amener à collaborer avec nous et d'autant plus, que nous les aurions convaincues de notre volonté indéfectible de conserver, française, l'Algérie.



Sur les 6 douars de regroupement situés dans le secteur de BOU ZEROU, 5 étaient en GAD. BENI ALI, village proche de TIGHRET avait été écarté de cette structure. Je ne sais quels furent les attendus de cette décision mais ce dont je suis sûr, c'est que, jamais, au grand jamais, ses habitants n'ont demandé à en faire partie. Pour les avoir côtoyés durant quelques mois, je peux même affirmer qu'ils ne nous aimaient pas. Et d'autant moins que nous les obligions à se regrouper. D'ailleurs, il n'y avait à la compagnie aucun harki originaire de ce douar. Et il m'étonnerait qu'il y en ait eu ailleurs. Je l'aurais appris lors du recensement.



L'effectif du GAD pour un douar variait en fonction de l'importance de sa population, Groupe-d-auto-defense-secteur-de-Tighretce qui est une évidence, mais aussi du nombre d'hommes en âge de porter les armes demeurés sur place. Autant que je m'en souvienne, il variait d'une trentaine d'armes par exemple pour TAZZEROUT à 80 environ pour LARIOUDRENNE, une cinquantaine pour BOU ZEROU. Il faut préciser que les armes étaient affectées au village et non attribuées nommément. Ce qui permettait la rotation des effectifs et simplifiait notre gestion.



L'armement était composé de fusils de chasse et de fusils « de guerre », environ moitié-moitié. Comme nous ne disposions pas d'armes de chasse à l'inventaire et qu'elles n'étaient pas de première jeunesse, il y avait fort à parier qu'elles avaient été récupérées sur les fellaghas. Cela n'avait donc pas coûté cher à l'Armée française. Mais il avait un hic, un inconvénient majeur : nous n'avions pas de cartouches de chasse. Nous ne pouvions donc pas les réapprovisionner. Comme la vente en était interdite en Algérie, ce qui était compréhensible, il fallait les acheter, fort chères, au marché noir ou, solution le plus souvent retenue, les fabriquer. Cela donnait des munitions de piètre qualité, comme, fort heureusement, nous avons pu le vérifier à deux reprises. La poudre était vraisemblablement mal dosée et les chevrotines, interdites à la vente elles aussi, étaient remplacées par des petits bouts de plomb. Peu précises, leur efficacité laissait à désirer. Mais, au moins, cela faisait du bruit.



Les armes de guerre étaient aussi récupérées sur les fells. Elles étaient peu nombreuses et disparates et pouvaient poser, comme pour les fusils de chasse, un problème de munitions. Aussi, comme il fallait bien pouvoir faire le coup de feu de temps à autre, on nous livrait des LEBEL. En provenance direct des stocks de la Grande Guerre puisqu'ils reposaient toujours dans leur emballage et leur graisse d'origine. C'était une belle arme, redoutablement précise compte tenu de la longueur de son canon. Et comme les GAD étaient de bons tireurs… LARIOUDRENNE avait droit, en plus, à titre exceptionnel, à 2 PM MAT 49.



De temps en temps nous les entraînions au tir. Comme il n'était pas question de traîner des cibles avec nous, ni d'utiliser des bouteilles ou des boîtes de conserves vides qui Entrainement-des-GAD-au-tir-photo-J.C.PIétaient systématiquement récupérées, ils tiraient sur des pierres, équivalentes en taille aux boîtes. A 100/150 m, ils les manquaient rarement malgré une position non réglementaire, accroupis, assis sur leurs talons. Ils tiraient avec les armes utilisant les munitions en dotation au calibre 7,50 et 9 mm pour les MAT. Et évidemment les 8 mm pour les LEBEL. Nous en regorgions. Nous pouvions donc les alimenter copieusement. Beaucoup plus que ce qui était permis. Bah !



La mission des GAD était double. Tout d'abord et constamment, la garde de leur douar contre toute intrusion étrangère et dans la journée les abords immédiats pour permettre un peu de culture et le pâturage des bêtes. Ce qui était beaucoup plus vrai pour les villages à flanc des djebels que pour ceux de la crête parce que, pour eux, il fallait rester à vue. Ce service était gratuit. Mais ils devaient aussi fournir des hommes, sur demande, pour des opérations d'envergure, quelque soit le niveau de décision. Comme groupe-d-auto-defense-photo-J.C.PICOLET.les GAD devaient continuer à assurer la protection de leur douar, cela limitait l'apport à moins d'une centaine d'hommes au total pour la compagnie. Ce qui, néanmoins, doublait nos effectifs sur le terrain. Mais cela créait un problème de logistique pour la transmission des ordres et d'autant plus qu'ils n'avaient pas de postes radio, étant incapables de s'en servir. Les harkis, non plus. LARIOUDRENNE avait en outre une mission particulière, d'accord tacite. KHADIR fournissait une escouade à TIGHRET pour garder le fort, les armes, les munitions et les provisions en stock, sans oublier le boulanger afin de partir avec la harka au grand complet. Ceci, que le GAD participe ou non à l'opération. Pour toute demande de l'Armée, les civils étaient rémunérés. Je crois me rappeler 6 ou 7 NF par journée. Payés en espèces, une fois l'opération terminée, sur le front des troupes. C'est le chef du douar qui encaissait et redistribuait. Par contre, ils assuraient leur subsistance. S'ils passaient par BOU ZEROU ou, pour LARIOUDRENNE, par TIGHRET, on leur donnait une ration de pain dont ils étaient friands.




LA REBELLION


Le Plan CHALLE avait laminé la rébellion sur l'ensemble du territoire. Les frontières étaient pratiquement étanches et lors de tout franchissement du barrage, les EBR de la « herse » occasionnaient des pertes épouvantables. Les fellaghas de l'intérieur ne recevaient plus ni renforts ni approvisionnements de quelque nature que ce soit. Les grandes opérations d'OUEST en EST, comme « Courroie» en avril 1959 et « Cigale » en août et septembre 1960, qui ont concerné plus spécifiquement la Wilaya IV, balayèrent les troupes de l'ALN. Les effectifs des moudjahidines chutèrent de 40 à 50 %. Par ailleurs, les centres de regroupement et leur GAD privèrent le FLN de leur soutien et de leur source d'approvisionnent. Or ce soutien populaire lui était indispensable pour légitimer son action et vital pour la survie de ses combattants. Sur le plan militaire, la guerre était perdue pour eux.



C'est sans doute la raison, avec le mépris pour les planqués du GPRA, confortablement installés en TUNISIE, qui incita l'état major de la Wilaya IV à négocier l'arrêt des combats. En Juin 1960, SI SALLAH, commandant de la Wilaya IV, accompagné de son adjoint militaire SI MOHAMED et de son adjoint politique, LAKHAR rencontra à PARIS, le général DE GAULLE. Ils proposèrent une reddition avec conditions, pratiquement l'autodétermination, et SI SALAH se porta fort d'obtenir l'adhésion de la Wilaya III à cette accord. Le général refusa. Il exigeait une reddition sans conditions.



SI SALAH s'en retourna, mais négocia et obtint l'accord de la Wilaya III sur son projet. Pendant ce temps, SI MOHAMED avait retourné sa veste. SI SALAH fut arrêté et emprisonné par le FNL. Il fut tué dans une embuscade lors de son transfert vers la TUNISIE où il devait être jugé. LAKHDAR fut arrêté, jugé sommairement et exécuté. Une purge s'ensuivit qui toucha tant l'état-major des wilayas que les troupes sur le terrain. Les exécutions se comptèrent par centaines. Et même par milliers dans la Wilaya III. Pour le récompenser, SI MOHAMED fut nommé chef de la Wilaya IV. Il en profita peu. Par un heureux hasard, pas pour lui, il fut arrêté lors d'un banal contrôle d'identité dans une rue de BLIDA, ville dans laquelle était installé son état-major. Tentant de s'échapper, il fut abattu. Une fois encore, une « bonne » version officielle.



Sur le terrain, dans le secteur de GOURAYA, la rébellion était exsangue. Plus aucune unité régulière n'y était installée. C'était devenu une zone de refuge, de  repos. Et uniquement dans la partie SUD-EST, de part et d'autre des « frontières ». La zone était très accidentée avec un bon couvert végétal. Ce qui la rendait difficile d'accès et dangereuse, donc déconseillée pour une simple section. En outre comme elle était répartie sur plusieurs secteurs, une opération ne pouvait être organisée qu'avec la participation de tous. Elles étaient donc rares. Le bruit courrait qu'il y avait un « hôpital », il serait plus juste de dire une infirmerie, mais cela sonne moins bien. Pourtant, nous n'en avons jamais eu confirmation. Et jamais découvert quoique ce soit lors des opérations. Y compris pendant la « nomado » organisée à la fin de l'enseignement de Cherchell pour la section dont je faisais partie. On n'a jamais rien trouvé d'autre que des abris de branchages et abandonnés depuis longtemps.



Seuls subsistaient des non-combattants des deux sexes et quelques moudjahidines faiblement armés qui devaient tenir des relais en quelque sorte pour ravitailler ceux qui transitaient. Pour cela, il leur fallait s'approvisionner et comme la population des douars leur était interdite et qu'elle avait tout juste de quoi se nourrir, il ne leur restait que le marché de GOURAYA. Comme le plan CHALLE prévoyait d'entretenir une insécurité permanente pour ceux qui restaient accrochés à leur djebel, nous les pourchassions. Nous connaissions les jours, ceux du marché, nous devions trouver les pistes et tendre des embuscades. De petits groupes seulement car nous n'avions affaire qu'à quelques porteurs se déplaçant de nuit en colonne. Deux hommes armés marchaient en tête pour ouvrir la piste. S'ils ne possédaient qu'un fusil, le premier était sacrifié. Notre objectif se résumait à les intercepter et à récupérer le(s) fusil(s). Nous y parvenions de temps à autre, peu souvent, il faut le dire.



Dans ces conditions, le moral des fellaghas était au plus bas. Il fallait le leur remonter coûte que coûte mais efficacement. La méthode étaient toujours la même et simple : liquider les traîtres potentiels. Un prétendu « Docteur Rouge » y excellait. Nous ne connaissions rien à son sujet. Ni qui il était, ni d'où il venait, ni quel était son rayon d'action. Une ou deux fois par an, il faisait sa tournée et liquidait les mauvais combattants. Nous n'étions même pas sûr qu'il existait vraiment, qu'il n'était pas une simple rumeur destinée à faire réfléchir tous ceux qui étaient prêts à quitter le navire. Aucune action n'a jamais été entreprise contre lui car, si ce qui se disait était vrai, il devait tuer plus de fellaghas que l'Armée française.



Pourtant, il ne fallait pas baisser la garde. Tout laisser-aller ne pouvait qu'être sévèrement sanctionné. Ce qui fut vérifié à TIGHRET. Une embuscade, en pleine journée, sur la piste montant à la tour radio qui se solda par un tué, un libérable, et la perte d'un fusil. J'aurai l'occasion d'évoquer ce drame ultérieurement plus en détail.



Mais le plus terrible, c'était le « commando zonal ». Bien que réduit à une vingtaine d'hommes, il frappait à coup sûr après une longue préparation. Pour ne pas attirer son attention, il valait mieux ne pas répéter régulièrement les mêmes manœuvres, sinon cela équivalait à signer son arrêt de mort. Composé de combattants expérimentés, bien armés, bien équipés, connaissant parfaitement le terrain, il était redoutable. Et ce n'était pas une légende. J'ai pu m'en rendre compte personnellement. Je m'en expliquerai le moment venu.





La 2ème SECTION



Lorsque je suis arrivé à BOU ZEROU, la compagnie était commandée par un lieutenant en instance de mutation. Je l'ai, en fait, peu connu compte tenu de la mission qui me fut confiée et de mon hospitalisation suivi d'une convalescence. Il était le seul officier. La compagnie disposait de 3 sections à effectif quelque peu réduit, guère plus de 25 hommes, avec une quasi absence des appelés du contingent. La 1ère  section était basée à TIGHRET commandée par l'adjudant-chef MAILLET. Les deux autres étaient cantonnées à la compagnie. La 3ème  était commandée par le sergent-chef BOURDON. Le plus haut gradé de la 2ème  était un sergent ADL, DAVID. Bien évidemment le lieutenant me la confia.



Je suis resté une quinzaine de jour à la compagnie pour que je puisse faire connaissance avec mes hommes qui, à part DAVID et le radio était tous des harkis. Comme dans les autres sections d'ailleurs. Et en grande majorité d'anciens fellaghas, recrutés de force par le FLN, qui s'étaient ralliés ou avaient été faits prisonniers et retournés. Le lieutenant m'a longuement parlé du secteur, des douars, des harkis, des hommes, de la vie au camp, des opérations. Un tour d'horizon complet et instructif.



Il m'a aussi raconté un événement qui s'était déroulé plusieurs mois auparavant. Rétrospectivement, j'en ai eu froid dans le dos.



À cette époque, un fellagha s'est rendu, avec son arme, à la compagnie. Cela n'avait rien d'exceptionnel compte tenu du moral dans les djebels. Mais avec une arme, c'était rare. Il fut dirigé sur le PC du bataillon où il fut longuement interrogé pour comprendre ses motivations. Tout paraissait crédible. Considéré comme sûr, il fut remis à la compagnie. Le lieutenant le prit comme ordonnance et sur le terrain portait le poste radio. Il le testa aussi en laissant en évidence des munitions ou de l'argent, soigneusement comptés. Rien ne disparut. Le temps passa et le lieutenant relâcha sa surveillance. Ce prisonnier devait à terme, pouvoir être intégré comme harki.



Brusquement un soir, vers 18 h, un harki tout excité força la porte du lieutenant et lui affirma qu'il n'avait plus, lui, ainsi que les appelés et quelques harkis, que 2 heures à vivre. Le lieutenant encaissa le choc et, sans perdre son sang-froid, organisa sa défense. Il intima l'ordre à quelques appelés de gagner discrètement l'armurerie, de Tighret-groupe-d-auto-defense-J.C.PICOLEs'armer avec les FM et d'attendre ses ordres. Par ailleurs, il fit sonner le rassemblement pour les deux sections prétextant un départ imminent en opération. Ce qui était tout à fait plausible. Les sections se rangèrent en bon ordre devant les arbres du foyer, aux ordres. Alors les appelés jaillirent de l'armurerie et mirent les harkis en joue. Le rallié et quelques meneurs furent arrêtés et placés sous bonne garde. Six au total me précisa-t-il. Les autres harkis furent, tout simplement, renvoyés dans leurs chambrées et consignés, sous surveillance toutefois.



Le harki qui avait vendu la mèche s'appelait LOUMI. C'était un engagé de la première heure qui n'était pas du secteur. Il venait de celui de la 3ème Cie. Pour une raison que je n'ai jamais pu connaître, il n'a jamais accepté d'y être transféré. Au fil des jours, il avait remarqué d'étranges comportements, des apartés auxquels il ne participait jamais. Suspicieux, il avait cherché à comprendre et découvert le pot aux roses. Le rallié était en fait un commissaire politique du FNL qui avait décidé de faire déserter les harkis de la compagnie avec armes et bagages. L'ALN avait tant besoin d'hommes et de matériel. Et, le plus incroyable, c'est qu'il y était presque parvenu. Le départ était bien prévu pour 20 heures afin de profiter de toute la nuit pour couvrir la fuite et gagner un lieu sûr, comme cela se pratiquait couramment chez les fells.



Les meneurs furent transférés le lendemain au bataillon puis remis à la Gendarmerie.



Cette histoire me laissa médusé mais quelque peu incrédule. Le lieutenant aurait-il inventé cette histoire ? Mais alors pourquoi ? Une mauvaise plaisanterie ? Il paraissait pourtant si sincère. Il m'était difficile de m'informer. Il n'était pas possible de rappeler aux harkis leurs erreurs passées. Ni de me renseigner au bataillon sous peine de faire passer mon lieutenant pour un mythomane s'il avait tout inventé. Et moi pour un imbécile d'avoir colporté de telles sornettes. Mais je n'ai jamais vraiment cru à cette histoire. Comment ces Berbères dont on m'avait tant rebattu les oreilles, après s'être ralliés, auraient-ils pu changer à nouveau de camp, aussi rapidement, au moment même où le FNL était partout en perte de vitesse. Ou alors, il fallait être devin.



Bien évidemment, quoi qu'il en soit, j'ai pris officieusement comme gardes du corps LOUMI et CHERKI, un autre harki qui devait monter avec lui dans la charrette. En déplacement, CHERKI marchait devant moi, LOUMI derrière. Cela ne valait peut-être rien mais, au moins, me rassurait. Car, il faut bien le dire, ces harkis prêts à déserter, et dans quelles conditions, c'était maintenant les miens. Aussi durant tout mon temps de présence, je n'ai jamais eu une confiance aveugle en qui que ce soit.







     A SUIVRE..........



 Jean Claude PICOLET.

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commentaires

P
J'apprécie votre blog , je me permet donc de poser un lien vers le mien .. n'hésitez pas à le visiter. <br /> Cordialement
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F
Je n'ai pas trouvé ton lien ?<br /> Michel.