MON AME A DIEU
MON CORPS A LA PATRIE
MON HONNEUR A MOI
Extrait des mémoires de Pierre GUILLAUME éditées chez PLON.
LE COMMANDO GUILLAUME EN OPERATION DANS LE SECTEUR DE TENES.
Nous avons pris d’assaut le village, mais les fellaghas avaient décroché entre-temps par le bas. Je prévoyais qu’ils passeraient par là, et le stick que j’y avais envoyé nous a appelés à la radio. LUBIAN m’a rendu compte : son commando n’était pas assez nombreux. Mais il a pu observer, sur la piste, une colonne d’une centaine de fellaghas qui semblaient évacuer des blessés et des morts sur des mulets. J’étais soulagé lorsque j’ai vu arriver l’ensemble du stick. Nous avons récupéré quelques armes de guerre et nous nous sommes installés en couverture au-dessus du patelin. Après tout, je ne savais pas si les fellaghas étaient réellement partis ou non. Finalement, ils ont évacué pratiquement la totalité du terrain. Je pense qu’au début ils avaient espéré qu’on rentrerait dans le village pour nous coincer. Nous étions nettement moins nombreux qu’eux. Voyant que cela n’avait pas marché, ils ont relevé leurs blessés et tués.
Nous sommes repartis le lendemain et avons récupéré des morceaux d’uniformes. Le général qui commandait la zone d’ORLEANSVILLE est arrivé en hélicoptère, au matin pour voir les résultats, alors qu’aucun renfort n’était venu la nuit. On a compté une quarantaine de tués et de blessés. Etant donné que nous tenions le dispositif, cela aurait valu le coup de monter un bouclage du coin pour ramasser les fellaghas qui restaient. Le général s’est approché de moi et m’a dit : « Alors, il ne fait pas chaud ce matin ! » Je lui ai répondu : « non, ça va , le moral est bon, les troupes sont fraîches ! » Nous étions sales, pleins de boue . Et j’ai ajouté : « Pour vous souvenir de la guerre en ALGERIE, je vais vous donner un calot de fellagha. » Je lui ai alors donné un calot plein de cervelle ! Il s’est demandé si je me moquais de lui ou pas, et l’a passé à son ordonnance. C’est la première fois que l’on obtenait un succès pareil. Nous avions ramassé un certain nombre de documents et, les jours suivants, nous avons fait plusieurs opérations dans la région vers laquelle était partie la katiba.
Par un des guetteurs intercepté pendant la nuit, nous avons appris que la compagnie rebelle avec laquelle nous avions eu cet accrochage était un commando zonal de cent cinquante hommes et cinq fusils-mitrailleurs, commandé par un certain SI SLIMAN. Une partie était restée cachée dans la forêt, attendant la tombée de la nuit et le départ de l’aviation après l’attaque du village pour nous tomber dessus. C’est ce même commando zonal FLN qui avait attaqué le commando au mois de mars et tué mon frère Jean Marie. D’après le guetteur fait prisonnier, les fellaghas pensaient avoir été trahis. Or j’avais repéré leur présence par le maquis que nous avions mis en place deux jours auparavant.
Nous avons su quelques jours plus tard que la katiba que nous avions accrochée le 27 août avait finalement eu une soixantaine de tués, de nombreux blessés étant morts des suites de leurs blessures. Par ce combat, le commando GUILLAUME confirmait sa présence gênante pour les fellaghas, et son efficacité sur le terrain.
Nous avons effectué d’autres opérations de fouilles diverses dans la région de l’OUARSENIS, continué nos opérations de chouf, et monté un certain nombre d’embuscades. Nous faisions un travail bien particulier, avec une grande liberté d’action. Nous étions parfois héliportés avec des H34, des SIKORSKY, lorsqu’une bande rebelle était signalée ou encore au milieu de grosses opérations. Après le départ du gros des troupes nous restions sur le terrain pour y poursuivre les fuyards qui avaient échappé au bouclage.
Début novembre, alors que nous repartions pour ORLEANSVILLE afin de changer de secteur d’opération et rejoindre notre cantonnement, des gendarmes de MOLIERE sont arrivés, accompagnés de trois ou quatre fellaghas, nous demandant si l’on pouvait les ramener avec nous . Un des gendarmes m’a pris à part et m’a dit : « Bien entendu, il n’est pas question qu’ils arrivent à ORLEANSVILLE ! » Je lui ai répondu : « nous ne sommes pas un peloton d’exécution, ni chargé des basses œuvres . Faites vos affaires vous même. » J’ai refusé de les prendre et les gendarmes ont été bien embêtés. Lorsque l’on parle des atrocités commises et autres, il ne faut pas oublier que l’officier qui commande a toujours la possibilité de refuser d’exécuter un ordre. Nous étions des combattants, et pas chargés de basse police.
Nous avons quitté ORLEANSVILLE, le 22 novembre, pour une opération dans la région de MONTENOTTE . Ce gros bourg se trouvait à une vingtaine de kilomètres de TENES, port ancien et ravissant. Un lieu proche du BISSA.
Cette zone était couverte de buissons élevés, épais, d’épineux, et c’était là que régnait le 22ème Régiment d’Infanterie qui, un jour, au cours d’une embuscade, s’est fait tuer une section complète, plus de vingt soldats. Tombée dans une embuscade et encerclée par les fellaghas, la section d’appelés , commandée par un aspirant du contingent, s’est rendue. Cinq soldats qui n’avaient rien à perdre ont rafalé et réussi à dégager. Ceux qui s’étaient rendus ont dû poser leurs affaires, se déshabiller, et ont été tués. Les fellaghas ont amené toute la population du coin pour leur couper les testicules et leur mettre dans la bouche ; ça a été affreux. Ceux qui n’étaient que blessés ont été achevés et mutilés ; seul l’un d’entre eux en a réchappé et a pu raconter l’histoire. La nuit précédente , le commando fellagha avait été hébergé dans une retraite de pères blancs, non loin de là, sous prétexte qu’il y avait des blessés. Nous avons par la suite eu affaire à ces fellaghas, qui sont venus rafaler à MONTENOTTE.
La région de BISSA appartenait à la famille d’ORLEANS depuis la conquête de l’ALGERIE. C’était un domaine considérable, où il n’était pas question de balancer du napalm pour brûler les buissons. Sur la demande factice du poste proche de MONTENOTTE, et pour faire croire à ceux qui écoutait la radio qu’un blessé devait être rapatrié avec un convoi d’escorte, nous avons entrepris l’opération. C’était une mission de pénétration et d’observation chez les fellaghas, avec un effectif de cinquante sept hommes. On ne connaissait pas grand chose sur cette région du DAHRA, et, dans ces cas là, nous étions toujours les seuls à faire des reconnaissances. Cette zone touffue, difficile à pénétrer, permettait certainement au FLN de recevoir des armes et des munitions. Le général SALAN était ennuyé par la présence de SI TARIC à la tête d’une compagnie qui avait déjà causé pas mal de dégâts dans la région Nous étions chargé de la surprendre et d’opérer comme d’habitude, en observant d’abord , et en dégroupant le reste après.
Notre stick a été déposé en route au nord de MONTENOTTE, vers 9 heures du soir, et le reste du commando est resté en alerte à MONTENOTTE. Le temps était épouvantable, il pleuvait énormément et il y avait un vent terrible. Nous devions monter et descendre un nombre de pentes dans la flotte. Le terrain était glissant, et on pouvait difficilement s’écarter des pistes. Il pleuvait de plus en plus fort et les djellabas en laine que nous portions s’alourdissaient. Nous nous sommes arrêtés vers 5 heures du matin pour dormir un peu. Le lendemain, en position de chouf, nous avons aperçu, en fin d’après-midi , quinze rebelles en arme au nord, et quinze autres à l’est. Nous étions entourés peu à peu. Les fellaghas ont ensuite commencé à grimper vers nous. Nous nous sommes alors dit : « Ou bien nous avons été repérés ou les fellaghas savent quelque chose. » Des choufs étaient installés. A ce moment là, nous avons fait un mouvement tournant. LUBIAN est passé par en dessous pour se farcir deux gars qui chouffaient et ne nous avaient pas vus. Il fallait éviter les coups de feu, pour ne pas alerter les autres. Nous étions à dix ou quinze mètres les uns des autres. Un para a eu un seul gars au couteau . L’autre n’a pu être liquidé en même temps et a riposté en tirant. Nous avons alors ouvert le feu et l’avons blessé. Le fellagha tué se nommait SI BRAHIM, l’intendant de la région III, un homme important.
Cela a déclenché le feu des autres fellaghas qui grimpaient autour. Ils étaient trente et nous cinq. Leur riposte a été violente, mais mal ajustée. J’ai demandé une mission luciole pour la nuit, car j’étais convaincu qu’ils allaient attaquer à nouveau . Eh bien non. Ils n’ont pas pensé que l’on pouvait être si peu nombreux et imaginaient plutôt que l’on essayait de les attirer dans un piège. Les Nord 2501, avions de largage, sont arrivés en début de soirée. Le restant du commando nous a rejoints à la fin de la nuit. Le lendemain, nous avons fouillé la zone. Ce devait être le commando FLN à la recherche duquel nous étions. Nous avons fait mouvement en camion sur MONTENOTTE, puis, le jour suivant à pied vers le poste de TAOURIRA où l’ensemble du commando GUILLAUME a été renforcé par des éléments du 22ème R.I. La progression était pénible, il pleuvait et la piste était détrempée. Le lendemain, nous avons continué à progresser dans le brouillard et la pluie. Le commando est resté toute la journée dans des mechtas abandonnées car cette région était pratiquement vidée de ses habitants.
Le 27 novembre 1957, nous étions toujours là, gelant, parce que nous ne pouvions pas faire de feu. Nous étions trempés et n’arrivions pas à nous sécher .Nous avions seulement fait du feu dans des mechtas en laissant tout fermé, et en respirant l’air frais au ras du sol. Nous avions la vague illusion que ça chauffait en voyant une flamme ! A 9heures 45, nous sommes partis par le poste du BISSA. Nous nous sommes arrêtés à 1 heure à la maison forestière du BISSA pour attendre les éléments du 22ème R.I. attardés, puis nous avons fouillé le plateau. Nous avons eu un incident avec une patrouille complètement égarée de la 7ème compagnie du 22ème R.I. Il y avait une montagne assez élevée et nous en avons fait le tour, pour essayer de coincer des fellaghas que l’on pensait être de l’autre côté. On en avait aperçu quelques uns le long du flan de la montagne escarpée. Il était 5h 40, je venais de dire aux hommes du commando de faire attention car le terrain était pourri. Je m’étais retourné en disant cela. Deux secondes après, j’attrape un rocher pour me tenir et il part. J’avais un pied en l’air, l’herbe est partie avec moi et j’ai dévissé d’à peu près six mètres. Heureusement, il y avait un ressaut de rocher, sinon je ne serais plus là pour le raconter, car ça dégringolait sur deux cents à trois cents mètres. Je me suis retourné comme un chat en l’air, lors de ma chute, pour me retrouver face à cet espèce de piton. Ma carabine, que j’avais ramené sur le côté droit, a éclaté en morceaux. Il n’est rien resté à part le canon. Sans cela, j’aurai certainement eu le foie éclaté. J’avais un poignet cassé, plusieurs côtes fêlées ou cassées et la mâchoire fracturée ; mais ça on s’en est rendu compte beaucoup plus tard.
Je me suis retrouvé comme un imbécile sur mon piton. Comme j’étais en tête, les paras qui étaient derrière m’ont vu dévisser. Ils sont descendu le long de la paroi et ont prévenu par radio les T6 qui étaient en l’air, leur disant que j’étais blessé. La falaise était à pic et il n’était pas question de me remonter. Le ressaut était cependant suffisamment large pour permettre à un hélicoptère de se poser. C’était mon copain, le capitaine DELAUSANNE, qui se trouvait en l’air avec un de ses équipiers. Une évacuation sanitaire d’urgence a été demandée et un hélicoptère a été envoyé. ORLEANSVILLE a préparé un plan d’opération car ils ne savaient pas ce que j’avais comme blessures. Ils pensaient que je pouvais avoir quelque chose de grave, à cause de la superbe chute. Sur mon rocher je ne bougeais pas, j’étais drôlement sonné. Un petit hélicoptère est arrivé et s’est posé à ras du ravin. Il n’y avait pas de place pour un brancard à l’intérieur, et l’on m’a ficelé avec un brancard à l’extérieur, sur un patin, la tête en bas pour que je ne sois pas sur le dos, et puisse respirer normalement. Je n’ai pas vraiment apprécié. L’hélicoptère n’arrivait pas à décoller. En l’air, le copain de DELAUSANNE était nerveux, se demandant ce que le pilote fabriquait. Nous étions vers mille deux cents mètres et, chaque fois que l’hélicoptère essayait de décoller, il y avait un effet de sol. Il se mettait à partir en oscillation, et se reposait. Et je me ramassais un nouveau choc. Cela s’est passé ainsi une demi-douzaine de fois.
J’entendais dans le cockpit le pilote qui se faisait engueuler par le capitaine DELAUSANNE. Le pauvre n’y pouvait rien, mais il a vu le moment où il ne pourrait pas décoller. Je ne pesais pourtant pas tellement lourd. Pour finir, il a fait un truc que je n’ai pas tellement apprécié : pour se récupérer, il a plongé. A peine décollés, nous avons filé vers le bas, et j’ai vu la terre de très près. Les fois précédentes, je la voyais de près, mais en recevant en plus des cailloux plein la figure car les pales de l’hélicoptère tournaient. Je fermais les yeux comme je pouvais. Le pilote me disait : « ça va ? » je répondais : « Oui, oui. » Le pilote se faisait toujours insulter par DELAUSANNE, et je me disais : « Pourvu qu’il ne continue pas à l’engueuler comme ça, le pilote est déjà nerveux, et ça va mal finir.»
L’hélicoptère a atterri devant l’hôpital d’ORLEANSVILLE et j’ai été immédiatement collé sur le billard. Là, ils ont mis les petits plats dans les grands. On m’a fait des tas de piqures, ce que je n’aime pas. Je leur ai dit d’arrêter les frais, que je préférerais dérouiller. Il s’agissait de réduire la facture et le reste, et de savoir si je n’avais pas le foie éclaté. Pour le savoir, les médecins appuient dessus. Déjà que je n’étais pas frais….. Le plus étrange, c’est qu’à ce moment-là une fracture n’ait pas été constatée : celle de la mâchoire. J’ai passé quelques années après une radiographie pour je ne sais quoi, et l’on m’a dit : « Vous avez eu la mâchoire fracturée ! »
Parce que mon frère avait été tué quelques mois auparavant, on a voulu absolument me rapatrier sur le Val-de-Grâce, à PARIS. C’était au moment de Noël, et je suis rentré dans un avion sanitaire. Je me rappelle l’arrivé à ORLY : on nous mettait sur des brancards pour nous emmener dans les ambulances, et il fallait traverser l’aéroport. Là , les passagers qui nous voyaient se taisaient. Au Val de Grâce, il a fallu recommencer la réduction de la fracture. Je suis resté pendant un mois à l’hôpital, le temps que le poignet se rétablisse. C’était le plus embêtant, car , pour tirer, c’est utile.
Enfin rétabli, j’ai quitté le Val de Grâce et PARIS le 30 janvier pour MARSEILLE en passant par BAYONNE. J’ai rejoint le commando le 14 février 1958. Les parachutistes étaient ravis de me voir arriver. Nous sommes restés trois jours au repos pour fêter cela, et préparer de nouvelles aventures !
Le 17 février, nous avons été héliportés et engagés dans une opération dans la région d’EL MARSA, secteur de CHERCHELL. Deux parachutistes du commando ont été tués « Elie THIESEN et Jean HORENSTEIN » et un blessé, Claude POIRET.
Mais j’ai quitté le commando GUILLAUME le 12 mars 1958, rappelé par la Marine qui considérait que j’étais resté suffisamment longtemps dans l’armée de terre. J’ai été affecté, le 17 mars 1958, sur le « Gustave-Zédé », navire amiral du groupement d’action sous-marine, pour me remettre dans l’escadre, comme officier de détail………………..
Ce document m’a été communiqué par René DESCHLER.
Personnellement avec le commando de secteur de TENES , j’ai participé à des opérations avec le commando GUILLAUME dans le BISSA au cours du 2ème semestre 1957.
Michel.