INSTITUTEUR AUX BENI-HATTETA DANS LE SECTEUR DE TENES
Les enfants Algériens à qui j’ai fait la classe pendant un an étaient des êtres merveilleux, remplis de gentillesse. Avec une formation pédagogique de l’enseignement très réduite je me suis pourtant évertué à leur inculquer du mieux que j’ai pu une éducation rudimentaire. Seuls ceux-ci pourraient dire si j’ai ou non réussi. Mais, de toutes façons, cela a été pour moi une expérience qui m’a beaucoup enrichi…….
Lorsque le lieutenant qui commande la section du 22ème R.I. basée à VILLEBOURG dans l’Algérois, entre DUPLEIX et CHERCHELL, le fait appeler un beau jour, Christian GATT ne se doute absolument pas de ce qu’il lui veut. Il ne tarde pas à le savoir……
Il m’a tout simplement demandé si je voulais accepter d’être instituteur aux BENI-HATTETA un petit village situé à quatre kilomètres environ de notre cantonnement, explique Christian. Inutile de vous dire que j’étais fort surpris de sa proposition. En effet mon instruction était limitée au certificat d’études primaires et à un C.A.P. obtenu dans les ARDENNES ma région d’origine. Après une courte hésitation je lui ai répondu oui. De toutes façons je n’avais rien à perdre. Et puis en moi même, j’avais pensé que cela allait me changer du crapahut……
Mobilisé en juillet 1956 au camp de Frileuse, près de PARIS, Christian y avait effectué trois mois de classes avant de partir en ALGERIE début octobre . Pendant plus d’un an il a mené la vie des autres appelés au sein d’une unité opérationnelle, patrouilles, embuscades, opérations de plus ou moins grande envergure se sont succédées pratiquement sans discontinuer. Jusqu’au jour d’octobre 1957, et cette « fameuse » proposition de son chef de section…..
Il ne le sait pas encore, mais sa vie va brusquement être changée du tout au tout. Lui le petit employé dans une usine de CHELLES fabriquant des ampoules hypodermiques va se muer comme par enchantement en « instit ». Quarante ans après il évoque cette période avec beaucoup d’émotion.
L’ancienne école des BENI-HATTETA avait été détruite et brûlée par des résistants indépendantistes et ce sont les gars du 22ème R.I. qui en avaient reconstruit, juste à côté , une autre toute neuve. Pour la rejoindre, chaque matin j’avais presque quatre kilomètres à faire à pied et autant le soir pour rentrer au cantonnement . Et je devais effectuer seul cet aller et retour sur une piste réputée très dangereuse. A juste titre d’ailleurs car, un peu plus loin, au cours d’une embuscade meurtrière une trentaine de nos soldats y avaient laissé leur vie. Bien entendu, au début surtout, je n’en menais pas large. Après c’était presque devenu une habitude.
Il est vrai que Christian GATT a tout de suite été adopté, non seulement par ses élèves, mais aussi par leurs parents qui, selon les saisons, lui apportent des fruits frais pour améliorer son ordinaire. Durant les premières semaines il craint de ne pas être à la hauteur, mais il s’adapte peu à peu à ses nouvelles fonctions.
J’avais à m’occuper de trente cinq élèves environ, moitié garçons et moitié filles. Ceux qui étaient âgés de douze ou treize ans savaient à peu près lire et écrire, mais les plus jeunes en étaient au « b-a ba » . Ils étaient animés d’une telle soif d’apprendre que cela faisait plaisir à voir. Et ça m’incitait encore plus à donner le meilleur de moi-même pour ne pas les décevoir. Y suis je parvenu ?… J’ai la faiblesse de le penser car, d’une part leurs progrès étaient sensibles et d’autre part nos rapports sont demeurés excellents jusqu’au bout. Une fois j’ai eu la surprise de recevoir la visite du Préfet qui était venu tout exprès d’ALGER, sans doute pour constater de visu si une classe de jeunes ALGERIENS dirigée par un appelé du contingent pouvait bien fonctionner. Apparemment il a du être satisfait de sa visite car j’ai continué à enseigner jusqu’à ma libération à la fin du mois d’octobre 1958. Dire que je n’étais pas heureux de rentrer au pays ne serait pas exact même si j’ai eu un petit pincement au cœur avant de quitter définitivement mes élèves à l’issue du dernier cours. Il ya des jours où je me demande quelle tête ils peuvent bien avoir maintenant , quarante trois ou quarante quatre ans après mon départ ?…. Dire que les plus âgés doivent aujourd’hui approcher de la soixantaine.
Comme souvenir tangible de cette belle aventure humaine «car cela en a été une à ses yeux » il n’a ramené que quelques photos petit format soigneusement conservées dans un album. On y voit notamment une partie de ses élèves à la porte de l’école lors de la venue du Préfet. Ce jour là seuls les garçons avaient bien voulu se laisser photographier avec moi précise t’il. En revanche les filles, elles, s’étaient montrées réticentes et n’avaient rien voulu savoir. Elles devaient surtout être impressionnées par ce haut personnage en uniforme. Mais je peux vous garantir que lorsque j’étais seul dans la classe avec mes élèves elles étaient en confiance, et leur avidité à apprendre à lire et à écrire n’était pas moins grande que celle manifestée par les garçons.
1998. Christian GATT.
Ce document m’a été communiqué par Albert ROUSSEL.