LE VENDREDI SAINT 1957 Extrait du DAHRA N°4 d'octobre 1957
Journal de liaison du 22ème RI
Il est midi, le soleil brille pour la première fois depuis dix jours que nous sommes installés au Bordj des TAOURIRA dans le camp transformé en une vaste blanchisserie en plein air, chacun s’efforce de nettoyer et de sécher des tas de boue qui s’appelaient des vêtements, quand nous sommes arrivés.
ASSELIN, le clairon, s’apprête à sonner la soupe et à résister aux quotidiennes plaisanteries fusant, dans le but jamais atteint, de le faire sourire pendant la sonnerie.
Au même instant je reçois un « flash » du commandant : « On vient d’enlever trois soldats au VIEUX TENES. Portez-vous sur TAZAMOUNT et étalez-vous de façon à barrer la route à la bande ».
Plus question de soupe. Nouvelle sonnerie : « Rassemblement ». Un bref laïus : « Trois camarades viennent d’être enlevés. On va les chercher. Départ dans cinq minutes ».
Je répartis les missions. Le sous lieutenant TAUSS sur SIDI DJILALI, l’Aspirant LEMOIGNE vers BENI-NIATE, un commando sur NADOR. J’irai sur TAZAMOUT.
A 12 heures 05, on démarre et, pour la première fois, on entend ni MALLET ni BAUDOIN et autres râleurs patentés. Pourtant personne n’a mangé ,on dévale vers l’oued à une allure folle et on commence à s’étaler comme convenu. A 15 heures 30, tout le monde est en place .J’amorce mon dernier bond qui me portera sur le Marabout qui plafonne 200 mètres plus haut. A 500 mètres deux hommes s’enfuient ; tir au FM sans résultat. J’alerte LEMOIGNE par SCR 300 les types allant dans sa direction. On repart, marchant à vue dans un terrain broussailleux au possible .Mon habituel « garde du corps » SELLIER me précède de cinq mètres environ. Tout à coup je l’entends me dire avec son inimitable accent Sarthois : « Mon Capitaine, un fellagha avec oune arrrrrme ». Et je le vois tenant son fusil sur le ventre du salopard qui, tremblant de peur, se tiens les bras levés, un pistolet dans la main droite. Je le lui prends, on l’amène à l’abri et on le fouille. Stupéfaction, dans un carnet, entre autres documents, trois noms français s’étalent sur une feuille. Je le presse de questions, il avoue avoir vu les « Kidnappés » et m’assure qu’ils sont vivants et en bonne santé. Tous les gars rayonnent, on est sur la bonne piste. L’avion passe au-dessus de nous ; je veux prendre contact, « patatras » le SCR 300 ne fonctionne plus. BEAL lui ouvre le ventre, (c’est défendu) bricole les lampes, rien à faire, il est bien mort. Et l’avion qui tourne et qui retourne. Et TAUSS certainement sur le nid où doit se terrer la bande. Que faire ? une seule solution, rejoindre le Bordj où se trouve un autre poste radio. C’est une course vertigineuse qui en une heure nous met à demeure. J’appelle LEMOIGNE, l’envoi vers TAUSS en lui donnant les derniers tuyaux. Le PC du Colonel contacté, confirme que les noms inscrits sur le carnet sont bien ceux des soldats.
Stupide panne qui nous a fait perdre tant de temps.
Soudain un appel radio ; ça y est, TAUSS a accroché ; des types partout tirant au hasard, puis devant le calme de nos gens qui les ajustent soigneusement, ils s’enfuient de tous côtés. Trois cependant, l’un habillé d’une djellaba et pieds nus, les autres débraillés, ne bougent pas, n’esquissent aucun geste à l’approche de TAUSS qui les questionne. Ils ont l’air un peu hébété, on les regarde de plus près, pas de doute ce sont des européens. Et c’est l’incroyable, l’impossible qui prend corps ; ce sont bien les trois disparus, bien vivants quoiqu’ épuisés et ne réalisant pas encore que leur cauchemar est terminé.
On passe alors le plus beau message qu’il nous fût jamais donné d’envoyer :
« Opération terminée - STOP- Bilan : 3 soldats français libérés, sains et saufs - STOP –5 rebelles abattus, 8 prisonniers, un PM, un PA un révolver et 4 fusils de chasse et des documents récupérés – STOP et FIN »
Le Capitaine Commandant la Compagnie .
Michel F.