LA MAISON PUBLIQUE DE TENES
Exceptionnellement ce dimanche, je n’étais pas en opération, et, nous avions avec deux collègues sous lieutenant prévu de troquer le vêtement militaire contre le costume civil, pour aller jouer un bridge l’après midi chez un capitaine de l’état major, qui logeait en ville.
En poste au VIEUX TENES, je téléphonais à la caserne LAVARANDE vers les dix heures du matin, pour que l’on vienne me chercher avec une jeep, et trois hommes en armes. De mon côté je ne me séparais pas de ma carabine US, et je me faisais accompagner par trois soldats en armes pour rejoindre l’entrée du VIEUX TENES sur la route d’ORLEANSVILLE. Le confort dans ce poste était très précaire, et j’allais pouvoir prendre une douche.
Quelle ne fût pas ma surprise en arrivant de trouver le Capitaine dans la cour, ce dernier logeait en ville, et ne venait pratiquement jamais le dimanche à la caserne.
Il m’appela immédiatement, et après le salut de rigueur, il me déclara que j’étais officier de jour. A la caserne LAVARANDE, il n’y avait que deux officiers, lui et moi, aussi vous jugez de ma surprise !…..
Il m’expliqua qu’il avait été appelé par l’état major, et, que l’on craignait durant cette période du ramadan des attentats en ville . La troupe était donc consignée à la caserne, et il fallait immédiatement procéder à une patrouille, et récupérer tous les militaires qui se trouveraient en ville , sans oublier la maison close. Il me salua et regagna son domicile.
J’appelais le sergent de semaine, lui demandait de fermer les grilles, et d’interdire toute sortie. Je demandais ensuite à un autre sergent de préparer une jeep et un GMC avec un groupe de six hommes en armes plus les deux chauffeurs, et vers les dix heures quarante cinq, on démarrait.
TENES intra muros avait été reconstruit par le Maréchal BUGEAUD suivant une rigoureuse géométrie NAPOLEONIENNE, toute les rues se recoupant à angle droit.
On se dirigea vers la porte de CHERCHELL, et on remonta la première rue du sud au nord, pour revenir du nord au sud dans la suivante, et ainsi de suite, pour reprendre ensuite à la porte de MOSTAGANEM de l’ouest à l’est , puis de l’est à l’ouest toutes les rues transversales. Au passage on contrôlait tous les cafés, et dans ce périple nous avions récupéré une dizaine de militaires qui se promenaient dans la ville.
Notre contrôle se terminait par la rue Branly, et la Porte de France, et l’on revenait par le boulevard de l’ouest. Je fis stopper la patrouille devant la maison publique. Le service sanitaire n’était pas à son poste, et nos militaires ne bénéficiaient ce jour , « d’aucune protection » !….. En rentrant dans l’établissement, la patronne se précipita vers moi, et me dit : « mon lieutenant, je suis désolée, mais je n’ai pas de petites Européennes à vous offrir ». Je lui répondis que ce n’était pas bien grave, et je vis alors son visage s’épanouir, je pense qu’elle avait mal interprété mon propos. Aussi qu’elle ne fût pas sa déception lorsque nous avons pénétré dans toutes les chambres et évacué avec perte et fracas les six militaires qui se trouvaient dans l’établissement.
Je les revois la mine dépitée, rajustant leur ceinturon et grimpant dans le GMC. Je me rappelle également la réaction de l’un d’eux qui me déclarait : « vous avez de la chance vous, d’être à TENES, alors que nous sur les pitons, nous n’avons rien pour nous distraire, et aujourd’hui, vous nous gâchez notre seul jour de permission »
Et oui ! mais le règlement c’était le règlement !……
Michel FETIVEAU.
La photo de la maison close est extraite du site internet http://www.tenes.info/galerie/